La planète regorge de pétrole cher
La soif d'énergie des pays en développement rapide comme la Chine et l'Inde va-t-elle épuiser la ressource > Il est généralement admis que la planète ne pourra jamais assurer à ses habitants un niveau de consommation - ou de gaspillage - équivalent à celui des Américains. Ces derniers soutiennent que leur mode de vie n'est pas négociable. Il faudra pourtant bien que les pays développés repensent leur croissance dans un sens plus durable.
Le prix nominal du baril de pétrole ne doit pas faire illusion. En termes réels, le pétrole d'aujourd'hui, à 70 dollars le baril, est moins cher qu'en 1980 et seulement à 16 dollars aux prix de 1974. Ce qui est nuisible à la croissance économique, ce sont les fluctuations fortes et brutales. Des renchérissements progressifs et planifiés jusqu'à 100 dollars le baril, voire au-delà, seraient plus propices au développement durable, à l'augmentation des réserves prouvées, au développement des énergies renouvelables, à la réduction des gaspillages et susceptibles de repousser de plusieurs décennies le spectre du fameux peak-oil (moment où la production de pétrole cessera d'augmenter pour baisser inéluctablement en raison de l'épuisement des réserves) qui agite à tort les médias.
Suite aux renchérissements passés et récents, il est temps de donner la bonne nouvelle : en 2003, les réserves prouvées de pétrole représentaient 47 ans de consommation, contre 30 ans en 1973, les réserves prouvées de gaz 70 ans au lieu de 44. Explication de Jean-Marie Chevalier, l'un des meilleurs spécialistes de l'énergie : le petit choc de 2003, qui a poussé le baril de la zone des 25 dollars à celle des 35 dollars, a augmenté d'un coup les réserves prouvées de 18 %, car l'exploitation des schistes bitumineux canadiens devient rentable à ce niveau de prix. A 70 dollars, les réserves prouvées pourraient doubler, voire tripler.
Les réserves prouvées représentent ce qui, avec certitude, est immédiatement productible à partir des puits existants aux conditions économiques et technologiques actuelles. On peut faire, à partir de cette définition, un certain nombre de remarques qui accréditent toutes la thèse de l'abondance de l'énergie chère. Seule est rare l'énergie bon marché. Cette conclusion s'appuie sur quatre constats.
D'abord, les réserves prouvées - c'est-à-dire que l'on est certain de récupérer - sont systématiquement sous-estimées, dans la mesure où l'on ne compte pas ce qui est probable. En réalité, la loi des grands nombres jouant en moyenne, presque deux fois plus de pétrole et de gaz qu'on ne l'estime a priori sont finalement extraits des puits.
Ensuite, aux conditions techniques actuelles, seuls 35 % à 40 % du pétrole existant dans un puits sont en moyenne récupérés. Les progrès de la récupération secondaire et tertiaire permettraient d'atteindre des taux de 50 %, voire 60 % selon certains experts.
Troisième point : environ 50 % des bassins sédimentaires mondiaux se situent dans les mers, à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Ce potentiel n'est pas, le plus souvent, compté dans les ressources. Enfin, les conditions économiques risquent fortement de changer. En effet, le pétrole, même à 70 dollars le baril, reste relativement bon marché alors que l'alignement sur le coût des substituts (les biocarburants) conduirait à un prix plus élevé.
L'agriculture se réjouit de la perspective du développement des biocarburants. Celui-ci est prometteur, mais son développement pose un redoutable problème de recettes fiscales car les quatre cinquièmes du prix des carburants sont constitués de taxes. De son côté, la production agricole est subventionnée et conduit à des aberrations. Sur la base de l'équivalence énergétique, 2,5 kilos de blé équivalent à 1 litre de fuel. Il coûte deux fois moins cher aux agriculteurs de se chauffer au blé subventionné (soit 500 euros pour 1.000 litres de fuel taxés, et 220 euros pour 2,5 tonnes de blé). Le comble est qu'il y a même des subventions pour l'achat de chaudières à grain !
Les perspectives de l'énergie nucléaire, considérée bien souvent comme le remplaçant naturel du pétrole, sont incertaines, limitées, voire dans certains pays compromises. L'hypothèse de l'abondance des ressources en hydrocarbures ne suffit pas en soi à exclure l'éventualité d'une grave crise énergétique résultant soit de facteurs politiques (embargo pétrolier), soit surtout de facteurs techniques : compte tenu des délais de mise en production des nouveaux gisements liés aux difficultés croissantes d'extraction et de la masse des capitaux à mobiliser, l'attentisme d'aujourd'hui pourrait conduire à une grave crise de capacité après 2010.
MICHEL GODET est professeur au CNAM et membre du Conseil d'analyse économique.
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jean-marie
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