Article édifiant sur l'après Grèce... (Securibourse)

par The Bull @, Guinée, lundi 05 septembre 2011, 21:38 (il y a 4829 jours)

C'est un peu long, mais vous devez lire ça. Vous aurez été prévenu...

Le défaut sur la dette grecque est inévitable

La crise de l’Euro s’accélère. L’épisode du nouveau « sauvetage » de la Grèce n’a rien réglé. Désormais, et quoique que puissent en dirent les Présidents et Premiers Ministres réunis à Deauville pour le G8, le défaut sur la dette (pardon la « restructuration ») est inéluctable. L’absence d’accord politique sur les nouvelles mesures d’austérité est compréhensible, et ne fera qu’accélérer le cours des événements. Nous voyons les troubles sociaux monter en Espagne. Même l’Italie commencer à inquiéter les marchés ; le taux d’intérêt sur sa dette à 10 ans avait atteint le lundi 23 mai 4,86%. La Belgique est dorénavant source d’inquiétude et pourrait voir dans les semaines qui viennent sa note baisser. La marche vers la crise terminale se poursuit avec le déclenchement d’un processus de contagion :

La Grèce sera probablement le premier des maillons de la chaîne de l’Euro à sauter. Les taux sur les bonds du Trésor à 10 ans ont atteint 18.20%. De plus, les taux d’intérêt sur les bonds du Trésor à deux ans sont montés à 45%, un chiffre astronomique qui ne fait sens que parce que les opérateurs du marché s’attendent à ce que la Grèce fasse défaut dans un délai de moins de deux ans en dépit du plan de privatisation. Ceci entraînera très probablement une nouvelle crise au Portugal et en Irlande.

Pourquoi la Grèce va faire défaut et pourquoi doit-elle faire défaut >

La situation de la Grèce est inextricable en raison de l’ampleur de sa dette, qui était de 703 milliards d’Euros (soit 296% du PIB), dont 293 milliards pour la dette publique, 120 milliards de dettes des entreprises financières, 165 milliards des entreprises non financières et 123 milliards pour les ménages au 31 décembre 2009. Depuis elle a atteint les 780 milliards. La dette publique qui se montait à 122% du PIB fin 2009 atteint à la fin du premier trimestre 2011 142,5% du PIB. Le déficit budgétaire est estimé entre 9% et 10%.

Si le taux d’intérêt moyen sur la dette publique était ramené à 3,5% par an, la charge des intérêts représenterait 5,15% à la fin de 2011. La Grèce va avoir un taux de croissance du PIB sur l’année 2011 de -1,5% en termes réels. Si l’on estime l’inflation à 3,5%, la croissance nominale (et non réelle) devrait être de 2%. Le budget devrait donc dégager un excédent primaire égal à la charge des intérêts (5,15%) diminuée de la croissance nominale (2%) simplement pour stabiliser le poids de la dette en pourcentage du PIB, soit 3,15%. Compte tenu du déficit actuel, cela impliquerait, au minimum, un choc d’ajustement budgétaire de 12% à 13%.

Cependant, certaines des hypothèses de ce calcul sont d’ores et déjà trop optimistes. Le nouveau plan d’austérité va faire chuter la croissance de manière importante, et la réduction du taux d’intérêt à 3,5% n’est pas acquise. On peut donc tabler sur un choc de 15%. Par ailleurs, si l’inflation – en augmentant le PIB nominal – peut soulager la pression de la dette, elle dégrade encore plus la compétitivité de la Grèce.

Il est donc clair que la situation n’est plus tenable, ni pour la Grèce, qui ne peut s’infliger une austérité aussi drastique, ni pour l’Europe qui ne peut mettre la Grèce sous perfusion sans courir le risque de voir d’autres pays demander le même traitement.

Un défaut sur la dette est donc inévitable et ne signifie pas la fin du monde. Cependant, il entraînera la sortie de la Grèce de la zone Euro afin de pouvoir dévaluer et retrouver sa compétitivité, car un défaut sans une dévaluation n’a pas de sens. Compte tenu de la structure du commerce extérieur de la Grèce (dont seulement 35% se fait avec la zone Euro) et des sources de revenus de l’économie de ce pays (le tourisme, les exportations vers les pays arabes et les revenus de la flotte de commerce) une forte dévaluation apparaît comme la moins mauvaise des solutions.

Bien entendu, elle provoquera une crise bancaire interne, mais les autres choses dont on menace la Grèce (comme l’interruption de l’aide Européenne ou l’impossibilité d’aller sur les marchés financiers) sont d’ores et déjà des réalités. La Grèce ne pourra pas retourner sur les marchés pour y emprunter avant au moins 2015 et l’aide a vu les fonds structurels baisser de manière importante ces dernières années. Si la sortie de l’Euro posera certainement des problèmes importants, le choc social sera cependant bien moins important que dans l’austérité continue que la Grèce devrait s’imposer pour plusieurs années si elle voulait à tout prix rester dans l’Euro.

Dans ces conditions, le plus vite une telle décision sera prise, le mieux cela vaudra pour la population et l’économie.

Dans ce contexte, l’Espagne pourrait suivre rapidement. Le taux d’intérêt sur ses bonds du Trésor à 10 ans atteint déjà 5,53%. Le pourcentage des dettes aux banques qui ne sont pas remboursées atteint déjà 6,2%. Avec la fin massive et programmée des allocations chômages on atteindra vraisemblablement les 9% vers la fin de l’année. Le gouvernement n’aura pas d’autres solutions que de recapitaliser massivement le système bancaire, ce qui fera exploser la dette publique. Devant les tensions sur les taux d’intérêts qui atteindront alors les sommets Grecs ou Irlandais, l’Espagne devra demander à bénéficier du Fond Européen de Stabilité Financière, dont les moyens sont déjà accaparés par la Grèce, l’Irlande (dont les taux à 10 ans sont remontés à 10,86%) et le Portugal.

Ce dernier pays continue de se débattre dans une récession, maintenant aggravée par les mesures qui sont soi-disant conçues pour le sauver. Il devra certainement demander une nouvelle aide à la fin de 2011. Les notations de ces pays se dégradent donc en conséquence alors que le coût d’une assurance contre un défaut (CDS à 5 ans) monte :

Un certain nombre d’économistes et d’hommes politiques de gauche comme de droite reconnaissent que le statu quo européen actuel n’est plus possible ni défendable. Il nous conduit tout droit à des surenchères sans fin dans l’austérité et, par ses effets cumulés à l’échelle européenne, à une dépression d’une ampleur encore inconnue. Cependant, effrayés semble-t-il par leur propre audace, ces hommes politiques se refusent à tirer les conséquences logiques de leurs analyses.

La question se focalisant autour d’une possible sortie de l’Euro, sur laquelle j’ai rédigé en avril 2011 un document de travail, je voudrais envisager les problèmes que cette dernière soulève, ainsi que les solutions qui sont possibles, mis aussi mettre ces problèmes en regard de ceux qui nous attendent si nous restons dans l’Euro. Ceci me conduira alors à aborder le problème de la coopération (et de la non-coopération) sur lequel bien des bêtises sont dites avec le plus grand naturel.

Enfin, il faut se poser la question de savoir quelle est la « meilleure » des solution théoriquement possible, mais aussi si une telle solution est pratiquement possible. La politique est, comme la guerre, un art tout en opportunité.
« II »

I. Les problèmes que pose une sortie de l’Euro.

Ces problèmes se concentrent sur les trois points suivants :

le poids de la dette détenue par des non-résidents (environ 65%) ;

l’évolution du pouvoir d’achat des ménages ;

le risque de spéculation pour une monnaie nouvellement recréée.

En fait, j’ai déjà fourni des esquisses de solutions à ces différents problèmes dans mon document de travail « S’il faut sortir de l’Euro… ». Je constate, pour le déplorer, que des personnes comme Francis Wurtz n’ont retenu que mes mises en garde et non les solutions. L’honnêteté minimale aurait consisté à présenter les deux au lecteur et de mettre mon texte en lien. Mais c’est probablement trop demander à quelqu’un dont le passé de stalinien est bien connu.

Prenons tout d’abord le cas de la dette. La dette détenue par les non-résidents se monte à 832 milliards d’Euros. Entre les rachats auxquels le Trésor procèderait avant la sortie de l’Euro, et ceux auxquels les banques françaises seront obligées de procéder pour tenir la contrainte mensuelle du « plancher d’effets publics », il est possible de faire tomber à 400 milliards d’euros la dette détenue par les non-résidents en l’espace de 3 mois. Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt sur les titres déjà émis à laquelle la France serait confrontée dès la mise en œuvre des mesures préparatoires à une sortie de l’Euro prend techniquement la forme d’une baisse de la valeur de revente du titre.

Dans la mesure où nous n’aurions plus à nous financer par des opérations de marchés (sur les marchés internationaux) et que le marché français serait isolé des autres marchés, la hausse des taux signifiant une baisse de la valeur de revente. Ceci permettrait de racheter plus de titres. Au total, au jour de la sortie de l’Euro ne resteraient entre les mains des non-résidents que probablement 300 milliards de titres déjà émis. Si nous acceptons l’idée d’une dévaluation de la monnaie nationale retrouvée (le Franc >) de 25%, ceci impliquerait un alourdissement de la dette de 75 milliards de Francs (300 milliards d’Euros étant alors équivalent à 375 milliards de Francs). On est donc très loin des prévisions catastrophiques voire apocalyptiques qui sont faites par certains.

Pour la dette des entreprises, ceci ne devrait poser un problème que pour les entreprises de taille moyenne. Les petites entreprises sont endettées sur le marché interne du crédit, et les grandes entreprises font une partie de leurs revenus hors de France. Il faudrait trouver des solutions adaptées qui pourraient aller du rachat de la dette à des titres de substitution émis par une caisse publique.

Vient ensuite la question du pouvoir d’achat. Il est dégradé par deux effets distincts, d’une part le renchérissement des biens importés et d’autre part un phénomène probable d’inflation interne qui serait engendrée par la rupture du carcan imposant à notre économie une inflation qui, en réalité, est inférieure à son taux structurel.

Sur le premier type d’effet, on peut fortement l’atténuer par une modification de la fiscalité sur les carburants. Il conviendrait aussi d’instaurer un contrôle des marges de la grande distribution et l’établissement de circuits commerciaux « courts » favorisant les producteurs français. Il importe de surveiller étroitement le système commercial « centralisé » français. Une prise de contrôle de centrales d’achat ou à tout le moins un contrôle strict sur leur activité pourrait être nécessaire. Ces mesures seraient aussi efficaces, en partie, contre le second type d’effet, qui concerne l’inflation non plus importée mais cette fois-ci engendrée. Pour cette dernière il est clair que des mesures de type « échelle mobile » pourraient dans un premier temps être réintroduite pour certains salaires (les plus faibles).

Globalement, il est certain qu’il y aura un choc de pouvoir d’achat, mais ce choc sera court (car l’économie repartira rapidement et avec elle les rémunérations) et il pourrait être en grande partie combattue par des mesures fiscales et réglementaires visant à obtenir une meilleure répartition de la richesse nationale. La convocation d’une « Conférence Nationale sur les Rémunérations » entre le gouvernement, les syndicats et le patronat s’imposerait. Cette conférence aurait pour but d’orienter cette répartition et de lui donner un cadre légal.

Enfin, quant à la question de la spéculation, elle est largement traitée dans mon document de travail déjà cité. Disons rapidement que l’introduction d’un contrôle strict sur les mouvements de capitaux à court et moyen terme la suppression du marché de certains produits dérivés et diverses autres mesures visant à définanciariser l’économie aboutiraient à une impossibilité technique de la spéculation. D’ailleurs, on le constate tous les jours, il n’y a aucune spéculation sur le Yuan chinois qui est convertible mais dans un cadre très structuré et réglementé.

Il est donc clair qu’une sortie de l’Euro poserait des problèmes à l’économie française, mais il faut aussi avoir l’honnêteté de dire que des solutions existent et, surtout, il faut comparer l’ampleur de ces problèmes à ceux qui nous attendent si nous restons dans la zone Euro. En fait, s’il existe une réelle volonté pour sortir de l’Euro, on peut tabler sur l’existence de cette même volonté pour faire face aux problèmes que poserait cette sortie.

II. Le coût du maintien dans la zone Euro.

Ces coûts se concentrent sur trois processus auxquels nous sommes déjà soumis et qui n’iront qu’en se renforçant dans les prochaines années. D‘ailleurs, une partie de mes contradicteurs reconnaissent que la situation actuelle, issue de la logique du Traité de Maastricht, est incompatible avec ce qu’ils appellent une « ambition sociale ».

(a) Un surcroît d’austérité
Cette austérité est inévitable en raison des chocs budgétaires qu’il faudrait s’auto-imposer pour sauver l’Euro. Si nous voulons simplement stabiliser le poids de notre dette en pourcentage du Produit Intérieur Brut, il nous faudra appliquer un choc budgétaire compris entre 6% et 7,5% du PIB. Un choc identique attend l’Italie, tandis que le Portugal et L’Espagne devront s’infliger un choc de 10% et la Grèce de près de 17%. Notons que le choc d’une dévaluation sur la consommation est estimé (si rien n’est fait dans le domaine fiscal pour l’amoindrir) à 2% du PIB dans le cas d’une dévaluation de 25%. En fait, le choc apparaît nettement plus important si nous devons rester dans la zone Euro et son impact sur le pouvoir d’achat des ménages sera considérable.

(b) Une faible croissance
Les diverses études qui ont été faites montrent que la surévaluation (ou appréciation) de l’Euro coûte 1% de croissance par tranche de 10% de surévaluation par rapport au taux de change qui, pour notre pays, correspondrait à l’équilibre.

Certes, actuellement (20 mai) l’Euro baisse…Mais, avec plus de 1,43 dollars contre 1 Euro, nous sommes encore très loin dans l’appréciation. En fait, on peut estimer que l’Euro est surévalué d’au moins 25%. Quelles auraient été les conséquences d’une dévaluation > Pour 2011 cela signifierait que nous aurions un taux de croissance de 4% à 4,5% au lieu des 1,7%-2% que l’on attend. On conçoit immédiatement les implications sur le taux de chômage, mais aussi sur les salaires.

(d) La poursuite de la désindustrialisation
Si la croissance en volume est un élément important, le contenu de cette dernière l’est aussi. En fait, compte tenu des gains de productivité que l’on connaît en France, il faudrait que l’on ait une croissance sensiblement supérieure à 3% pour que le phénomène de la désindustrialisation s’arrête.

Les causes de cette dernière sont connues : la différence des coûts salariaux entre la France et les pays émergents où la productivité progresse très fortement depuis une quinzaine d’années. Or, non seulement l’Euro s’est apprécié par rapport au Dollar, mais il s’est apprécié bien plus par rapport aux monnaies de certains des pays émergents. Ajoutons à cela l’ouverture pratiquement totale à la concurrence internationale. En fait, la question de la protection relative du marché intérieur et de la pénétration sur les autres marchés combine la question des droits de douane et celle du taux de change.

Si l’on s’en tient uniquement à ce dernier, on voit que ce n’est pas seulement le volume de croissance qu’il pénalise mais aussi le contenu de cette dernière. Avec un Euro fort, et une absence de droits de douane, nous sommes condamnés à perdre notre tissu industriel. Or, l’industrie est une activité qui engendre une structure des salaires qui est assez différente de celle des services à la personne et du commerce. Autrement dit nous sommes condamnés avec le taux de change tel que nous le connaissons à voir l’emploi se polariser entre un petit nombre de positions très bien payées (dans la finance et dans les services associés comme la communication) et le plus grand nombre réduits à gagner le SMIC où peu s’en faut.

En fait, ce processus a été entamé lors de la politique dite « de Franc Fort » menée en son temps par Pierre Bérégovoy.

Les coûts de notre inscription dans la zone Euro apparaissent ainsi bien supérieurs aux coûts de notre sortie éventuelle. Ce n’est pas un hasard si la zone Euro a connu le taux de croissance le plus faible de tous les pays développés. Un peu d’honnêteté aboutirait à le reconnaître. Mais, on peut alors soulever un autre problème : l’Euro n’est-il pas la seule formule de coopération entre pays européens >

« III »

I. Coopération et non coopération parmi les nations.

On entend ou on lit souvent des formules affligeantes telles que « l’Euro c’est paix sur le continent européen » ou encore « l’Euro, c’est l’Europe ». Ce sont des injures à l’intelligence qui montrent un mépris de l’histoire et de ses réalités.

La paix sur le continent européen n’est que partielle. On l’a vu dans les Balkans. Mais, si la paix est par contre bien établie en Europe occidentale, on le doit à la combinaison de deux faits, la dissuasion nucléaire et la réconciliation franco-allemande, elle-même fruit du travail que les Allemands ont réalisé sur leur propre histoire. Rien de tout cela n’est lié, de près ou de loin, à l’Euro. Par ailleurs, n’oublions pas que sur les 27 pays de l’Union européenne seuls 13 d’entre eux font partie de la zone Euro.

Une fois litière faite de ces contrevérités, on peut tenter une analyse dépassionnée de la question de la coopération et du conflit.

L’union monétaire est présentée comme une avancée dans la voie de la coopération entre États européens, ce qu’elle est indiscutablement. Mais, est-elle viable dans sa forme actuelle > Les pays de la zone Euro sont très loin de constituer une « zone monétaire optimale ». Les divergences structurelles entre les économies qui la composent, qui étaient déjà importantes au départ, se sont en fait accrues depuis 2002-2003. Il faudrait un effort budgétaire considérable de la part des plus riches pour harmoniser cette zone.

On tend alors à nous présenter la coopération comme un bien en soi face à la possibilité d’un conflit. Mais, c’est oublier que dans la réalité, coopération et conflit sont étroitement liés. En fait, le conflit fait partie intégrante de la coopération, tout comme on constate que des formes résiduelles de coopération subsistent au sein des formes les plus violentes des conflits. Si la théorie des jeux a popularisé les notions de « jeu à somme nulle » ou de « gagnant-gagnant » il faut se souvenir qu’elle décrit un univers unidimensionnel, où les agents ont des préférences stables. La réalité est encore une fois bien différente. La coopération ne s’établit pas seulement quand des acteurs, ou des pays, constatent qu’ils ont un intérêt à coopérer. Elle s’établit aussi quand ces mêmes acteurs ou pays ont les moyens de « punir » un pays qui détournerait le processus de coopération à son seul profit. Autrement dit, la menace permanente d’un recours au conflit est le véritable ciment de la coopération. Car, si une situation de conflit est assurément inférieure à une situation de coopération, cette même situation de conflit est bien souvent supérieure à une forme de coopération capturée par un ou quelques acteurs. Or, c’est très précisément la situation actuelle dans la zone Euro.

L’Allemagne a détourné le mécanisme à son profit, ce que montrent les statistiques du commerce extérieur allemand. Pour l’année 2009 l’excédent de la balance commerciale était de 140 milliards d’Euros pour l’Allemagne dont 82,6 milliards au détriment de ses partenaires de la zone Euro et 115,8 milliards au détriment de l’Union Européenne (soit 33,2 milliards au détriment des pays de l’union ne faisant pas partie de la Zone Euro). À titre d’exemple, le solde commercial allemand montre un excédent de 27,3 milliards d’Euros avec la France mais de seulement 18,1 milliards d’Euro par rapport aux Etats-Unis, et ce en dépit de la taille respective des économies et des populations.

Nous sommes donc confrontés au véritable problème qui gît sous la notion de « coopération ». Les relations franco-allemandes seront-elles à terme renforcées ou affaiblies par la zone Euro >

Je n’ai pas utilisé le terme de « couple franco-allemand » à dessein. Ce terme, si fréquent sous la plume et dans la bouche de responsables français est quasi-inexistant outre-rhin. Si les relations franco-allemandes ont nourri bien des fantasmes, ce furent – et ce sont – essentiellement des fantasmes français.

Si nous restons dans la zone Euro, la population française ressentira chaque mois un peu plus la dureté de la contrainte imposée par l’Allemagne. Le sentiment anti-allemand grandira jusqu’à rendre difficilement gérable les relations entre nos deux pays. Si nous acceptons maintenant de nous décentrer et de prendre le point de vue allemand, nous devons considérer qu’il est celui d’une population entrée dans un déclin non plus relatif mais absolu. Il est impératif pour les Allemands, s’ils veulent maintenir leur niveau de vie dans le futur, qu’aucune charge nouvelle ne vienne s’ajouter aux budgets publics. La dynamique démographique de la France rend possible le maintien d’une structure de répartition intergénérationnelle quand la structure démographique de l’Allemagne lui impose d’adopter une structure patrimoniale.

Or, le maintien de la zone Euro exigerait, pour colmater les brèches déjà ouverte, mais aussi pour éviter que de nouvelles ne s’ouvrent, que l’Allemagne dégage entre 3,5% et 4% de son PIB tous les ans pour subventionner les pays du sud et, dans une certaine mesure, la France. Encore une fois, un minimum d’honnêteté impose de constater que l’Allemagne ne pourra pas consentir un tel effort, et l’on aurait tort de lui en vouloir. Mais, c’est aussi pourquoi elle a imposé à ses partenaires le trop fameux « pacte de compétitivité » qui n’a de pacte que le nom et qui n’est autre qu’un engagement des autres pays à mettre en œuvre une austérité drastique.

Le maintien dans l’Euro est une politique qui porte en elle les ingrédients pour un renouveau du conflit franco-allemand. Au contraire, une sortie de l’Euro, qu’il s’agisse de la France ou de l’Allemagne, permettrait de dédramatiser ces relations.

Ceci ne signifie pas qu’il faille jeter à la rivière l’idée d’une coordination dans le domaine monétaire.

Cette coordination peut cependant prendre bien d’autres formes que celle de la monnaie unique dont les contraintes l’emportent sur les avantages. Cependant, une importante leçon des trente dernières années doit être tirée. La coordination ne pourra fonctionner que si nous construisons sérieusement des stratégies nous permettant, le cas échéant, de « punir » nos partenaires ou à tout le moins de les convaincre de notre résolution à ne pas accepter des politiques par trop contraires à nos intérêts. Il ne suffit pas de dire à la cantonade « je veux coopérer » pour obtenir satisfaction. Cette stratégie-là ne fonctionne que dans le monde des bisounours.

Inversement, le refus temporaire de la coopération, le choix délibéré du conflit, peut permettre de reconstruire une attitude crédible sur la base de laquelle une négociation ultérieure peut aboutir. La France en a donné l’exemple en 1965 avec la « politique de la chaise vide » qui devait aboutir au fameux « compromis de Luxembourg ».
Dès lors, le principe de la coordination monétaire pourrait être plus fructueusement appliqué une fois que la crédibilité de la France aurait été restaurée par des mesures qui, si elles entament un conflit, laissent aussi la porte ouverte aux négociations et à la reprise du processus de coordination, mais sur d’autres bases.

Ainsi, la coopération est certainement quelque chose à rechercher mais ce n’est pas en la fétichisant, en prétendant exclure du cadre de la vie politique la réalité du conflit, que l’on peut y parvenir. Ceux qui disent très fort aujourd’hui qu’il faut sauvegarder la coopération à tout pris et que pour cela il faut résister à toute tentation de sortir de la zone Euro prennent la responsabilité devant l’histoire et devant les peuples, de rendre la poursuite d’une politique de coopération impossible et de réactiver l’antagonisme franco-allemand.

L’Europe a finalement peu à craindre de l’échec de la zone Euro. Ce montage institutionnel fait de bric et de broc et construit dans l’urgence par des politiques aux abois et des technocrates sans légitimité, peut fort bien disparaître. Mais l’Europe à tout à craindre du réveil d’un antagonisme franco-allemand qu’alimenterait le juste ressentiment qui naît de l’oppression des intérêts des uns et des autres.

II. La sortie de l’Euro est-elle la seule solution >

Arrivé à ce point on pourrait penser que la messe est dite et qu’il nous faut absolument sortir de l’Euro. En fait, théoriquement, il reste une solution qui aboutirait à un résultat encore plus intéressant que la sortie.

Si nous pouvions convaincre nos partenaires que la BCE doit financer le rachat par les États d’une partie de la dette (de 60% pour la Grèce, l’Italie et la Belgique, à 50% pour le Portugal et l’Irlande, 40% pour l’Espagne et 30% pour la France et l’Allemagne), la création monétaire nécessaire (entre 1100 et 1300 milliards d’Euros) ferait substantiellement baisser le taux de change de l’Euro face au Dollar et aux monnaies qui sont de fait indexées sur le Dollar. D’une même mesure, nous réglerions le problème de la dette accumulée et une large partie de la dette immédiatement à venir en redonnant un dynamisme à la zone Euro. Ceci offrirait un répit de trois à quatre ans qui pourrait être mis à profit pour faire basculer le système du principe d’une monnaie unique à celui d’une monnaie commune. Rien n’interdit techniquement de s’engager dans une telle voie.

Mais, politiquement, il faut bien voir que l’occasion a été perdue. Une telle stratégie aurait dû être mise en discussion dès les premiers signes de la crise grecque, soit en septembre 2009. Elle aurait dû être mise en œuvre lors de la crise irlandaise ou portugaise. Il n’en a rien été et, désormais, au vue de l’accélération et de la généralisation de la crise, il est trop tard. L’histoire jugera sévèrement le personnel politique européen qui a vécu (et qui vit encore) dans le déni de la crise. Un tel aveuglement vaut révocation…

Une autre solution envisageable serait de procéder à des mesures unilatérales dans le cadre de la zone Euro, par exemple en réquisitionnant la Banque de France pour qu’elle procède à des avances au Trésor public et en réintroduisant à la seule échelle de la France des contrôles sur les mouvements de capitaux. Mais, d’une part, ces mesures risquent d’être insuffisantes pour faire baisser suffisamment le taux de change de l’Euro. D’autre part, si elles sont appliquées avec l’ampleur et la brutalité nécessaires, elles s’avèreront l’antichambre d’une sortie de l’Euro. En effet, aujourd’hui, il y a trop de divergences économiques entre la France et l’Italie et l’Espagne pour que l’on puisse espérer aboutir rapidement à une position commune entre ces trois pays. L’idée d’un « Euro du Sud » qui isolerait l’Allemagne et pourrait pousser ce pays à sortir de la zone Euro, si elle est intellectuellement séduisante, risque de se révéler inapplicable. Encore une fois, nous sommes dans une phase d’accélération de la crise. Cette solution aurait dû être pensée et préparée dès le début de 2010.

Le choix sera donc entre un maintien dans une zone Euro en crise, à un coût considérable en matière d’austérité et de pouvoir d’achat, et sans pouvoir espérer autre chose qu’une rémission, et une sortie de la zone Euro.

Cette solution produira certes un traumatisme, mais ce dernier sera plus politique qu’économique. Elle est la seule qui nous offre une perspective de croissance. Elle n’était pas mon premier choix quand j’ai commencé à tirer le signal d’alarme, que ce soit quant à la dynamique de l’Euro en 2006 ou par rapport à la divergence accélérée que connaissaient les économies de la zone (que j’avais qualifié de manière prémonitoire « d’eurodivergence ») dès le début de 2009.

Une question reste cependant posée : quand surviendra cette crise de la zone Euro > les évolutions de la situation en Grèce, mais aussi en Espagne et au Portugal pourraient impliquer que cette crise survienne dès le début de cet automne. Au plus tard, elle aura lieu vers la fin du printemps 2012. Les conséquences politiques pourraient en être bien différentes suivant le moment où cette crise se produira. C’est aussi sans doute la raison pour laquelle le personnel politique français se refuse à accepter l’inévitable et à faire face à la réalité. Mais Lénine disait déjà, il y a de cela presque cent ans, que « les faits sont têtus ». Le principe de réalité finit toujours par s’imposer aux idéologues.

Cependant, à trop vouloir nier la réalité, elle se venge…


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