« La première crise globale de lHistoire» (Securibourse)
Denis Kessler, PDG de la société de réassurance Scor, et Érik Izraelewicz, directeur de la rédaction du journal « La Tribune », interviendront, vendredi à Mulhouse, lors de la prochaine conférence Érasme sur la crise économique. Interview croisée.
La crise économique est-elle de nature conjoncturelle, ou signe-t-elle la fin du capitalisme néo-libéral >
Erik Izraelewicz : Cest une vraie rupture. La crise du crédit immobilier aux États-Unis est lallumette qui a déclenché lincendie général, passant de limmobilier à la finance puis à lindustrie et au commerce. Cest une crise du capitalisme financier des 25 dernières années et un basculement du monde comme cela arrive parfois dans lHistoire.
Denis Kessler : Ce nest pas une crise conjoncturelle, une de ces fluctuations dont les économies modernes ont lhabitude tous les 7 ou 8 ans, mais la première vraie crise globale de lHistoire, qui frappe tous les pays. La nouveauté, cest lintégration de la Chine, de lInde ou de la Russie dans léconomie «monde», de lélargissement et de linterconnexion de tous les marchés des produits, des services, des capitaux. Cela requiert de nouveaux instruments de contrôle, de repenser une institution comme le FMI, car la simple coordination des États ne suffit pas. Nous avons 27 organismes de contrôle bancaire en Europe, et 27 organismes de contrôle des assurances. Deux exemples où les institutions nont pas accompagné lélargissement de léconomie. LHistoire nous montre que les « institutions » sont toujours en retard sur les marchés. Elles émergent toujours de la crise, alors quelles auraient pu contribuer à mieux lanticiper et la gérer.
Mais lépicentre de la crise se trouve aux États-Unis et la Grande-Bretagne, pays adeptes du « laisser faire »
D.K. : Les causes de la crise remontent au 11 septembre 2001. Pour éviter un fort ralentissement économique, la Réserve fédérale américaine a mené une politique incroyablement laxiste de taux dintérêt très bas, générant une bulle spéculative de crédit et des produits financiers toxiques. Tous les acteurs économiques se sont surendettés, à commencer par lÉtat américain qui a financé ainsi les 525 milliards de dollars de la guerre en Irak. Les marchés ont fait leur boulot, ce sont les politiques qui nont pas pris leurs responsabilités. En Europe nous avons rejeté la Constitution européenne et toute possibilité dharmonisation fiscale.
E.I. : Je ne pense pas que les politiques et les institutions soient les responsables de la crise. Avec lendettement des États-Unis, les financiers se sont frotté les mains. Or tout le monde savait que ce nétait pas durable. Actuellement, le déficit américain est financé par lépargne des Chinois, qui achètent des bons du trésor des États-Unis. La crise condamne ce capitalisme financier anglo-saxon et lidéologie selon laquelle les marchés se suffisent à eux-mêmes. Son origine se trouve dans les prêts accordés à des gens dont on savait quils ne pourraient pas rembourser, ce qui est interdit en France ou au Japon. Et on a cru pouvoir faire disparaître ce risque en le « titrisant », en revendant ces prêts à risque.
Que pensez-vous des plans de relance adoptés dans le monde >
D.K. : Ce nest pas le keynésianisme qui nous permettra de sortir de la crise, par un nouvel excès de consommation et de crédit. Les politiques de déficit public et de bas taux dintérêt sont inefficaces. Et elles peuvent avoir des effets pervers à moyen terme comme le retour de linflation, la hausse des taux dintérêt à long terme, le ralentissement de la compétitivité dû à la croissance des prélèvements obligatoires
E.I. : Pour éviter que la récession ne dégénère en dépression, les gouvernements mènent différentes politiques de soutien de lactivité. En France, les marges de manuvre sont faibles du fait de lendettement de lÉtat, cest pour cela que le gouvernement a lancé un plan assez modeste, peut-être pour se réserver pour plus tard.
Cest une crise du capitalisme financier des 25 dernières années et un basculement du monde
Il me semble toutefois important déviter lerreur du protectionnisme faite en 1929, or le plan de relance américain prévoit par exemple dutiliser pour les grands travaux de lacier produit aux États-Unis. En outre, si le système sanguin de léconomie, la finance, ne fonctionne pas, ce nest pas la peine de donner des dopants. Le problème, cest de reconstituer la confiance pour que les banques se prêtent entre elles, personne na trouvé la martingale pour dégeler le crédit. Et tant quon trouve des loups dans les placards, du genre affaire Madoff
Au vu de cette restriction des crédits, la nationalisation des banques nest-elle pas inévitable >
D.K. : Chaque fois que des institutions financières ont été nationalisées, cela sest terminé par des désastres. En Allemagne, les banques publiques sont toutes en faillite. Je préfère la solution française de garantie des prêts bancaires par lÉtat. Mais il faut un cadre de règles, car on a laissé les banques prendre trop de risques.
E.I. : Une autre solution serait de rétablir la confiance en créant une « bad bank », un établissement qui hériterait de tous les actifs pourris, comme celui qui avait été mis sur pied en France pour liquider les affaires du Crédit Lyonnais.
Que pensez de linterdiction des bonus, de la limitation des salaires des dirigeants décidée par Obama, ou de la suppression de dividendes pour les actionnaires dentreprises fautives >
D.K. : On ne peut pas imposer de telles lois, aucun actionnaire ne mettra de largent sil ne peut pas en gagner en retour. De plus, les premières victimes de la crise sont les actionnaires et les épargnants, personne na forcé les Américains qui ont souscrit des subprimes à sendetter. Comme on dit, il ne faut pas prêter aux pauvres !
E.I. : On a vu les conséquences de bonus délirants accordés aux traders. Et lexplosion des inégalités me semble économiquement injustifiée et moralement insupportable. Depuis 20 ans aux États-Unis, les salaires ont baissé tandis que les revenus des 1 % les plus riches ont explosé, si bien que les écarts sont passés de 1 à 20 à 1 à 500. Même dans ce pays, ce nest plus acceptable et tout pousse à un retour de balancier, avec des lois pour des salaires maximum.
Comment voyez-vous la suite des événements >
E.I. : La psychologie est un aspect important de la crise. Or internet accélère la circulation des informations et accentue lampleur des réactions. Cela joue actuellement dans un sens défavorable. Mais nous avons des atouts : des innovations sont en cours, les révolutions dinternet et des biotechnologies ne sont quà leur début, les besoins en alimentation et en développement sont énormes. Et si nous avons la chance que lactivité rebondisse, cela pourrait être plus rapide que prévu.
D.K. : LHistoire enseigne que le travail à mener est très long pour sortir dune crise de cette nature. Que ce soit au niveau financier, économique, social et politique, des évolutions en profondeur doivent se produire. Il y a un travail de la crise, qui prendra plus de temps que lannée 2009. Et il faut éviter quelle ne dégénère en poussées nationalistes ou populistes.
« La crise va-t-elle changer le monde > », conférence Érasme animée par Francis Laffon, rédacteur en chef de lAlsace-Le Pays, avec Denis Kessler et Érik Izraelewicz, vendredi 13 février 2009 à 18 h 30 Salle Erasme de la SIM, 10 rue de la Bourse à Mulhouse.
http://www.lalsace.fr/articles/show/id/513432>symfony=d01821dc0f5a5bd261756ac34a300eb3
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- et la Californie perd 500 dollars par seconde..... - malfougasse, 08/02/2009, 10:21
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