« La première crise globale de l’Histoire» (Securibourse)

par malfougasse @, sainte-tulle(04), dimanche 08 février 2009, 10:31 (il y a 5769 jours) @ malfougasse

Denis Kessler, PDG de la société de réassurance Scor, et Érik Izraelewicz, directeur de la rédaction du journal « La Tribune », interviendront, vendredi à Mulhouse, lors de la prochaine conférence Érasme sur la crise économique. Interview croisée.

La crise économique est-elle de nature conjoncturelle, ou signe-t-elle la fin du capitalisme néo-libéral >

Erik Izraelewicz : C’est une vraie rupture. La crise du crédit immobilier aux États-Unis est l’allumette qui a déclenché l’incendie général, passant de l’immobilier à la finance puis à l’industrie et au commerce. C’est une crise du capitalisme financier des 25 dernières années et un basculement du monde comme cela arrive parfois dans l’Histoire.
Denis Kessler : Ce n’est pas une crise conjoncturelle, une de ces fluctuations dont les économies modernes ont l’habitude tous les 7 ou 8 ans, mais la première vraie crise globale de l’Histoire, qui frappe tous les pays. La nouveauté, c’est l’intégration de la Chine, de l’Inde ou de la Russie dans l’économie «monde», de l’élargissement et de l’interconnexion de tous les marchés des produits, des services, des capitaux. Cela requiert de nouveaux instruments de contrôle, de repenser une institution comme le FMI, car la simple coordination des États ne suffit pas. Nous avons 27 organismes de contrôle bancaire en Europe, et 27 organismes de contrôle des assurances. Deux exemples où les institutions n’ont pas accompagné l’élargissement de l’économie. L’Histoire nous montre que les « institutions » sont toujours en retard sur les marchés. Elles émergent toujours de la crise, alors qu’elles auraient pu contribuer à mieux l’anticiper et la gérer.

Mais l’épicentre de la crise se trouve aux États-Unis et la Grande-Bretagne, pays adeptes du « laisser faire »…

D.K. : Les causes de la crise remontent au 11 septembre 2001. Pour éviter un fort ralentissement économique, la Réserve fédérale américaine a mené une politique incroyablement laxiste de taux d’intérêt très bas, générant une bulle spéculative de crédit et des produits financiers toxiques. Tous les acteurs économiques se sont surendettés, à commencer par l’État américain qui a financé ainsi les 525 milliards de dollars de la guerre en Irak. Les marchés ont fait leur boulot, ce sont les politiques qui n’ont pas pris leurs responsabilités. En Europe nous avons rejeté la Constitution européenne et toute possibilité d’harmonisation fiscale.
E.I. : Je ne pense pas que les politiques et les institutions soient les responsables de la crise. Avec l’endettement des États-Unis, les financiers se sont frotté les mains. Or tout le monde savait que ce n’était pas durable. Actuellement, le déficit américain est financé par l’épargne des Chinois, qui achètent des bons du trésor des États-Unis. La crise condamne ce capitalisme financier anglo-saxon et l’idéologie selon laquelle les marchés se suffisent à eux-mêmes. Son origine se trouve dans les prêts accordés à des gens dont on savait qu’ils ne pourraient pas rembourser, ce qui est interdit en France ou au Japon. Et on a cru pouvoir faire disparaître ce risque en le « titrisant », en revendant ces prêts à risque.

Que pensez-vous des plans de relance adoptés dans le monde >

D.K. : Ce n’est pas le keynésianisme qui nous permettra de sortir de la crise, par un nouvel excès de consommation et de crédit. Les politiques de déficit public et de bas taux d’intérêt sont inefficaces. Et elles peuvent avoir des effets pervers à moyen terme comme le retour de l’inflation, la hausse des taux d’intérêt à long terme, le ralentissement de la compétitivité dû à la croissance des prélèvements obligatoires…
E.I. : Pour éviter que la récession ne dégénère en dépression, les gouvernements mènent différentes politiques de soutien de l’activité. En France, les marges de manœuvre sont faibles du fait de l’endettement de l’État, c’est pour cela que le gouvernement a lancé un plan assez modeste, peut-être pour se réserver pour plus tard.

C’est une crise du capitalisme financier des 25 dernières années et un basculement du monde

Il me semble toutefois important d’éviter l’erreur du protectionnisme faite en 1929, or le plan de relance américain prévoit par exemple d’utiliser pour les grands travaux de l’acier produit aux États-Unis. En outre, si le système sanguin de l’économie, la finance, ne fonctionne pas, ce n’est pas la peine de donner des dopants. Le problème, c’est de reconstituer la confiance pour que les banques se prêtent entre elles, personne n’a trouvé la martingale pour dégeler le crédit. Et tant qu’on trouve des loups dans les placards, du genre affaire Madoff…

Au vu de cette restriction des crédits, la nationalisation des banques n’est-elle pas inévitable >

D.K. : Chaque fois que des institutions financières ont été nationalisées, cela s’est terminé par des désastres. En Allemagne, les banques publiques sont toutes en faillite. Je préfère la solution française de garantie des prêts bancaires par l’État. Mais il faut un cadre de règles, car on a laissé les banques prendre trop de risques.
E.I. : Une autre solution serait de rétablir la confiance en créant une « bad bank », un établissement qui hériterait de tous les actifs pourris, comme celui qui avait été mis sur pied en France pour liquider les affaires du Crédit Lyonnais.

Que pensez de l’interdiction des bonus, de la limitation des salaires des dirigeants décidée par Obama, ou de la suppression de dividendes pour les actionnaires d’entreprises fautives >

D.K. : On ne peut pas imposer de telles lois, aucun actionnaire ne mettra de l’argent s’il ne peut pas en gagner en retour. De plus, les premières victimes de la crise sont les actionnaires et les épargnants, personne n’a forcé les Américains qui ont souscrit des subprimes à s’endetter. Comme on dit, il ne faut pas prêter aux pauvres !
E.I. : On a vu les conséquences de bonus délirants accordés aux traders. Et l’explosion des inégalités me semble économiquement injustifiée et moralement insupportable. Depuis 20 ans aux États-Unis, les salaires ont baissé tandis que les revenus des 1 % les plus riches ont explosé, si bien que les écarts sont passés de 1 à 20 à 1 à 500. Même dans ce pays, ce n’est plus acceptable et tout pousse à un retour de balancier, avec des lois pour des salaires maximum.

Comment voyez-vous la suite des événements >

E.I. : La psychologie est un aspect important de la crise. Or internet accélère la circulation des informations et accentue l’ampleur des réactions. Cela joue actuellement dans un sens défavorable. Mais nous avons des atouts : des innovations sont en cours, les révolutions d’internet et des biotechnologies ne sont qu’à leur début, les besoins en alimentation et en développement sont énormes. Et si nous avons la chance que l’activité rebondisse, cela pourrait être plus rapide que prévu.
D.K. : L’Histoire enseigne que le travail à mener est très long pour sortir d’une crise de cette nature. Que ce soit au niveau financier, économique, social et politique, des évolutions en profondeur doivent se produire. Il y a un travail de la crise, qui prendra plus de temps que l’année 2009. Et il faut éviter qu’elle ne dégénère en poussées nationalistes ou populistes.

« La crise va-t-elle changer le monde > », conférence Érasme animée par Francis Laffon, rédacteur en chef de l’Alsace-Le Pays, avec Denis Kessler et Érik Izraelewicz, vendredi 13 février 2009 à 18 h 30 Salle Erasme de la SIM, 10 rue de la Bourse à Mulhouse.

http://www.lalsace.fr/articles/show/id/513432>symfony=d01821dc0f5a5bd261756ac34a300eb3


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