Après la crise, ce sera la petite forme .... (Securibourse)

par malfougasse @, sainte-tulle(04), samedi 31 janvier 2009, 15:45 (il y a 5777 jours)

Après la crise, ce sera la petite forme

LE MONDE | 31.01.09 |


Il y aura bien un jour où la croissance économique mondiale reviendra. Où les flux commerciaux gonfleront, où les entreprises réembaucheront et réinvestiront, où les carnets de commandes se rempliront, où les indices boursiers remonteront, où les prix de l'immobilier progresseront, où les évolutions trimestrielles du produit intérieur brut redeviendront positives. Ce n'est pas pour demain, ni même sans doute pour après-demain, mais on peut toujours songer à ces jours qui seront forcément meilleurs que ceux que l'on vit en ce moment.

Mais qui risquent aussi d'être beaucoup moins fastes qu'hier, avant que la crise des subprimes n'éclate. On l'a presque déjà oublié, mais l'économie mondiale a connu pendant deux décennies une sorte d'"âge d'or", pour reprendre l'expression qu'avait employée, en juin 2007, l'ancien directeur général de la Banque des règlements internationaux (BRI), Malcom Knigh, qui en pressentait la fin imminente : une croissance exceptionnellement forte, mieux partagée - le taux de pauvreté dans les pays en développement est revenu de 52 % à 26 % -, des taux d'intérêt et un chômage tombés à des niveaux historiquement bas - même en France !

Après l'âge d'or, faut-il craindre des années de plomb pour l'économie mondiale > On sait depuis septembre 2008 et la faillite de Lehman Brothers tout ce que ces Vingt Merveilleuses devaient à l'exubérance irrationnelle du crédit et à ces pyramides de dettes qui viennent de s'écrouler les unes sur les autres.

Il sera difficile, impossible de les reconstruire dans le nouvel ordre financier mondial, mieux "ordonné", précisément, que les pays du G20 ont promis d'instaurer rapidement. C'est sans doute tant mieux, mais cela veut dire aussi que les banques seront pour longtemps moins imprudemment généreuses qu'elles ne l'ont été, que le crédit sera plus rare, que l'argent circulera moins. Ce nouveau monde qui se profile ne vivra plus au-dessus de ses moyens, à l'image des Etats-Unis, et en plus il aura moins de moyens. Le consommateur américain se montrera moins dépensier et achètera moins de produits made in China, avec à la clef une expansion moindre pour la première et pour la troisième économie mondiale, donc pour toute la planète.

Autre motif d'inquiétude pour la croissance future, l'ascension fulgurante du chômage à laquelle on assiste. Le BIT prédit que la crise économique mondiale pourrait mettre au chômage 51 millions de personnes. Combien de temps faudra-t-il pour qu'elles retrouvent un travail > Combien de temps faudra-t-il pour que Caterpillar réembauche les 20 000 personnes qu'il vient de licencier > Combien de temps faudra-t-il pour effacer les 73 000 suppressions d'emplois annoncées dans la seule journée du mardi 27 janvier aux Etats-Unis et en Europe > Peut-être des années, le temps de l'embauche s'écoulant infiniment plus lentement que celui du licenciement. Le chômage monte en flèche, il décroît en pente douce. Un taux de chômage durablement plus élevé, cela signifie un pouvoir d'achat global durablement plus bas. Cela signifie surtout un surcroît d'indemnités et de dépenses sociales que les gouvernements, même les moins bien intentionnés et les moins généreux dans ce domaine - on songe aux Etats-Unis et au Royaume-Uni -, devront bien, s'ils veulent éviter que la crise financière et économique ne dégénère en crise sociale, financer.

Et financer, comme ils n'ont plus le moindre sou en poche, par l'emprunt, comme le reste, comme les plans de sauvetage bancaire et les plans de relance. Deux mille milliards, trois mille milliards de dollars, les calculettes s'affolent quand il s'agit de comptabiliser ce que les Etats vont devoir, en plus du comblement ordinaire de leurs déficits, aller "lever sur les marchés", comme disent les spécialistes, pour payer leurs mesures anticrise. Ce sont des tombereaux d'obligations d'Etat et de bons du Trésor qui vont bientôt se déverser sur les places financières. On est sorti d'une bulle de crédit, celle du secteur bancaire pour rentrer dans une autre, celles des Etats. La seconde ne s'annonce pas plus réjouissante que la première.

Son premier inconvénient sera de détourner l'épargne mondiale du secteur privé productif et donc de priver les entreprises des financements dont elles ont besoin pour se développer. Avec comme autre conséquence encore plus fâcheuse de provoquer une hausse des taux d'intérêt à long terme dans le monde. Les obligations d'Etat n'échappent pas plus à la loi de l'offre et de la demande que le marché des légumes à Rungis. Trop d'emprunts tue l'emprunt, au moins le dévalorise fortement. Le sacrilège monétaire que s'apprêtent à commettre les Etats-Unis - faire acheter par la Réserve fédérale les bons émis par le Trésor américain - indique à quel point le risque de flambée des taux longs inquiète à Washington.

C'est aussi le sort qui guette les taux d'intérêt à court terme, fixés par les banques centrales. Dès qu'un léger mieux conjoncturel se fera sentir, ces dernières, apeurées à l'idée de créer de nouvelles bulles spéculatives et désireuses d'éponger au plus vite les liquidités pour éviter l'hyperinflation, ne manqueront pas de donner un sérieux tour de vis.

Durablement plus de chômeurs, moins de crédit et plus cher : il ne faudra pas s'étonner, quand la croissance reviendra, de la trouver très amaigrie et affaiblie. Alors pourra commencer le temps de la nostalgie, celle de cet âge d'or économique qu'on vient de quitter, sans même l'avoir apprécié.

Pierre-Antoine Delhommais

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