Veolia : tempête pour un verre d'eau (Securibourse)
Veolia : tempête pour un verre d'eau
[ Les Echos - 29/10/08 ]
LE GÉANT DES SERVICES DANS LES TURBULENCES DE LA CRISE
Un bon verre d'eau est-il la meilleure des potions anticrise > Pour Henri Proglio, le PDG de Veolia, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Il l'énonce avec une telle évidence au milieu de la tempête économique qu'il donne l'impression d'avoir personnellement connu, comme son entreprise, un empire, trois guerres et autant de républiques. Pensez donc, l'eau, les déchets, l'énergie, les transports, tous les enjeux du XXIe siècle réunis au sein d'un même groupe gigantesque, qui emploie près de 320.000 personnes dans le monde et domine son secteur de la tête et des épaules !
Et, pourtant, tout semble toujours à recommencer. Comme le faisait déjà le fondateur, le comte Henri Siméon il y a un siècle et demi face au baron Haussmann, il faut sans relâche convaincre les sceptiques du bien-fondé de son approche. La semaine dernière, il s'agissait d'amadouer des analystes financiers en colère. Mécontents de l'annonce d'un bénéfice 2008 moins bon que prévu, ils ont contribué à l'effondrement du cours de Bourse qui a perdu 20 % en une seule journée, symbolisant à lui seul la déroute des marchés financiers face à la crise.
Veolia, du haut de ses cent cinquante ans d'existence, assis sur un métier de concessions qui lui assure parfois des monopoles de plusieurs dizaines d'années, actif dans des métiers qui touchent aux besoins vitaux, comme l'eau, les déchets ou le chauffage, n'est donc pas insensible à la conjoncture. Il a suffi d'un été pluvieux, de quelques cyclones et d'un tremblement de terre en Chine pour faire déraper les comptes. Et ce n'est pas fini, la récession affecte ses clients industriels et bientôt les recettes des collectivités locales.
Mais cela ne fera pas changer d'un iota la stratégie de la société : devenir l'interlocuteur incontournable de ceux qui veulent sous-traiter tous leurs services « environnementaux » et privilégient un interlocuteur unique. Tout juste va-t-elle mettre un frein à sa boulimie d'acquisitions, afin d'éviter de dégrader sa trésorerie et de prendre trop de risques. Pour le reste, elle estime que son périmètre d'activité et sa couverture géographique la rendent « résiliente à la crise et résistante face à la concurrence ». Son modèle est en béton. Déjà en 1853, Henri Siméon s'enthousiasmait devant ses actionnaires pour le potentiel de ce métier né en Angleterre, rappelant que les actions de la plus belle affaire, celle de New River à Londres, « rendent aujourd'hui 1.000 % ». Il ajoutait : « Nous voyons que ces entreprises sont généralement bonnes, là surtout où elles ne se font pas concurrence ; or vous savez qu'en France ces sortes de concessions constituent un privilège qui ne comporte pas de concurrence. » Le potentiel, le modèle économique, la protection face à la concurrence, tout est là hier comme aujourd'hui.
Le potentiel d'abord. A l'époque de Napoléon III, il s'agissait d'apporter de l'eau salubre dans les foyers urbains. Aujourd'hui, il faut résoudre le casse-tête d'une planète dont la population a été multipliée par 4 en un siècle et qui migre massivement vers les villes : 10 % d'urbains en 1900, 50 % aujourd'hui, 70 % dans vingt ans. Une planète qui croule sous les déchets (voir Naples) s'assèche, la Californie et l'Australie manquent d'eau, et s'asphyxie avec les transports. A tous ces défis, Veolia apporte sa réponse : la concession de service public à une entreprise privée, bien plus efficace, et surtout qui ne coûte rien à la municipalité. La société privée signe avec la collectivité un contrat de vingt ans ou plus, construit les installations, les exploite avec un monopole sur sa zone, puis les transmet à la collectivité à l'échéance du contrat. C'est déjà par la finance qu'Henri Siméon avait converti Lyon et Nantes dès la création de la CGE, c'est par la finance que les villes d'aujourd'hui succombent aux charmes des concessionnaires français, comme Veolia mais aussi Suez Environnement (ex-Lyonnaise des Eaux, autre centenaire...) ou la SAUR.
Le modèle économique s'est perfectionné avec la sophistication croissante des équipements : usines de traitement de l'eau, de dessalement, de recyclage des déchets... La taille des communautés urbaines relève la barre des défis et impose des spécialistes pointus, des gestionnaires plus que des collecteurs-distributeurs.
Cette masse d'expérience cumulée, cette taille considérable, cette présence sur les quatre priorités des collectivités constituent autant de barrières à l'entrée.Elle permet aux présidents de Veolia, comme de Suez Environnement, de dialoguer directement avec le gouverneur de la Californie, le président chinois ou les maires de Chongqing ou Mexico (les deux plus grandes villes du monde). La compétence technologique croissante, par exemple pour le dessalement de l'eau de mer, et la gestion des hommes sont aussi des terrains d'expertise difficiles à atteindre, que ce soit par les municipalités ou par de nouveaux entrants. Henri Proglio assure que le principal facteur limitant de la croissance, hors crise, est la capacité à former et recruter les hommes. Avec 120.000 personnes en France, Veolia est déjà le premier employeur privé du pays. Cette conjonction d'un potentiel considérable, on estime que moins de 5 % des services d'eau dans le monde sont concédés au privé, et de fortes barrières à l'entrée assurent à ce métier des perspectives infinies et une croissance annuelle moyenne entre 6 et 10 % avec des marges opérationnelles du même ordre.
Et, pourtant, ce métier de concessionnaire de service public qui semble si solide et raisonnablement rémunérateur reste une curiosité française, du moins dans sa version expansionniste. Seuls Veolia et Suez Environnement se défient sur la planète pour décrocher des contrats d'eau ou de déchets. Et Veolia est le seul au monde à offrir une palette aussi large de services, avec l'énergie et les transports. Pourquoi cette exception > La faute à Napoléon III d'abord. Impressionné par ce qu'il avait vu à Londres, il a autorisé et encouragé ce métier. Il a permis aux deux français de financer leur expansion internationale un siècle plus tard grâce à leur « fromage » hexagonal.
Mais aussi parce que ce métier si particulier n'est pas exempt de risques. Il est gourmand en capitaux et en main-d'oeuvre, sensible aux effets de change et, dans une certaine mesure, à la conjoncture (pour l'activité industrielle), mais il est surtout culturellement et politiquement complexe à négocier et à gérer. C'est rarement de gaieté de coeur que les collectivités publiques acceptent de déléguer des tâches aussi fondamentales que l'eau. D'où le faible taux de privatisation du secteur. Chaque pays offre une situation très différente, complexe à décrypter, où les intérêts politiques sont étroitement imbriqués. Une élection à gagner, un bouc émissaire à trouver et c'est un beau contrat qui vacille car l'augmentation de tarif promise est interdite ou parfois le concessionnaire est carrément mis dehors, comme ce fut le cas pour Suez en Argentine. D'ailleurs, si Bertrand Delanoë, le maire de Paris, a récemment décidé que ses services allaient reprendre en direct la distribution de l'eau concédée à Veolia et Suez, il n'a pas été le premier à se méfier. Avant lui, Haussmann et Napoléon III, bien que favorables au système, ont finalement refusé de confier la gestion des eaux de Paris à la Générale des Eaux, qui a dû se rabattre sur Lyon. L'apprentissage de la politique de l'eau.
Fil complet:
- Veolia environnement - chris, 22/10/2008, 09:59
- Veolia : tempête pour un verre d'eau - chris, 29/10/2008, 09:41