dossier du Jdf sur l'agroalimentaire (Securibourse)
Risques d'inflation dans l'agroalimentaire
Après l'envolée des cours des métaux, c'est au tour des matières premières agricoles d'être en vedette. Le cours du blé a bondi de 70 % en un an, le maïs n'a jamais été aussi cher et, pour la première fois depuis vingt ans, l'Europe souffre d'une pénurie de lait. Alors que les producteurs se frottent les mains et que nombre d'investisseurs spéculent désormais sur ces marchés à terme, les principaux acteurs de l'industrie agroalimentaire s'inquiètent des répercussions de ce phénomène sur leurs marges.
Laure Burrus et Catherine Rekik
- Après une année 2006 record, la hausse des cours des matières agricoles devrait s'inscrire dans la durée. C'est en tout cas ce que s'accordent à dire à la fois les experts des organisations internationales comme la FAO, les auteurs du rapport Cyclope 2007 et les gérants, de plus en plus nombreux, qui interviennent sur les marchés de produits de base agricoles.
Plusieurs éléments ont provoqué des tensions inflationnistes sur ces produits. En premier lieu, l'insuffisance de l'offre liée aux aléas climatiques. Un climat difficile aux Etats-Unis, au Canada et en Europe, un hiver rude et long en Russie et en Ukraine, ainsi que l'exceptionnelle sécheresse en Australie ont fortement affecté la production de céréales. Le cours du blé a ainsi bondi de 70 % en un an et les stocks mondiaux de céréales n'ont jamais été aussi bas depuis vingt-cinq ans (le stock minimal de réserve est aujourd'hui estimé à cinquante-quatre jours). Dans sa dernière édition, le rapport Cyclope n'exclut pas une nouvelle hausse de 25 % du prix du blé cette année. Cette hypothétique envolée dépendra notamment de l'impact éventuel du phénomène climatique El Niño dans certaines régions.
L'essor du biocarburant provoque un vrai changement structurel
Autre cause, mais cette fois-ci d'ordre structurel : l'explosion de la demande en provenance des pays émergents. « La Chine et l'Inde pèsent fortement dans les achats de graines de soja et de blé », indique le rapport Cyclope. Dans les pays où la croissance économique est forte et où les revenus sont en hausse régulière, on assiste à un véritable changement des habitudes alimentaires. Le passage à une alimentation plus riche en protéines, notamment une consommation accrue de viande, favorise l'élevage et par ricochet accentue la demande de certaines matières premières comme le maïs ou les tourteaux de soja.
Mais c'est surtout la flambée du cours du pétrole et la prise de conscience de nombreux Etats de la nécessité de trouver de nouvelles sources d'énergie qui risquent de bouleverser le panorama agricole mondial. La production de céréales, de sucre, des oléagineux et de certaines huiles comme l'huile de palme risque d'être fortement influencée par l'essor des biocarburants. Ce qui s'est passé récemment aux Etats-Unis illustre parfaitement ce phénomène. Si le cours mondial du maïs a doublé en un an, c'est tout simplement parce que les Américains ont décidé d'augmenter fortement leur production d'éthanol (voir graphique). Un récent rapport publié par la FAO sur les perspectives agricoles 2007-2016 anticipe « une production d'éthanol et une consommation de maïs correspondante en hausse de 50 % en 2007 ». Et le rapport Cyclope n'exclut pas une hausse du cours mondial du maïs du même ordre durant cette période. Le Brésil devrait quant à lui doubler sa production d'éthanol fabriqué à partir de canne à sucre dans les dix prochaines années. Mais, après avoir atteint un plus haut historique en janvier 2006, le cours mondial du sucre s'est, quant à lui, effondré après une récolte record au Brésil. En Europe, c'est à partir de sucre de betterave ou d'huile de colza que l'on fabriquera du bioéthanol dans les prochaines années.
De tels déséquilibres entre l'offre et la demande de matières premières agricoles devraient maintenir les prix à la hausse. Mais sans sombrer dans un scénario catastrophe, le problème de la sécurité alimentaire va se poser à moyen terme. Les agriculteurs risquent en effet de délaisser les cultures vivrières au profit de productions plus rentables. Ce qui obligerait les pouvoirs publics à réfléchir sur une réaffectation des surfaces agricoles.
En attendant, les industriels de l'agroalimentaire en subissent les conséquences. « Les prix de l'alimentation dans le monde vont sans doute connaître une période d'inflation durable », confiait récemment le patron de Nestlé, Peter Brabeck-Letmathe, dans un entretien accordé au Financial Times début juillet. Des propos qui s'inscrivent dans la ligne du rapport de la FAO, qui prévoit que « l'inflation des prix à la consommation devrait rester inférieure à 3 % dans la majorité des pays de l'OCDE », mais des dérapages sont à prévoir dans les pays émergents. En Inde, par exemple, où le taux d'inflation a dépassé 6 %. Certains produits devraient connaître des hausses spectaculaires à l'instar du prix de la farine de maïs au Mexique.
Des hausses de prix prévues à l'automne
En France, dans un contexte de relations tendues entre distributeurs et fournisseurs et dans un environnement politique favorable à l'augmentation du pouvoir d'achat, il est difficile de savoir dans quelle mesure les industriels de l'agroalimentaire vont pouvoir répercuter ces hausses pour éviter une détérioration de leurs marges. Dans sa dernière lettre d'information, l'Association nationale des industries alimentaires fait part de ses inquiétudes et rappelle notamment que, depuis la mise en place de la loi Dutreil, les industriels ont déjà consenti de nombreux efforts à ce sujet. De toute façon, comme le souligne Christophe Bonduelle, président du groupe du même nom, « cette flambée des prix des matières premières est impossible à compenser par des gains de productivité ».
La rentrée sera donc marquée par une série de hausses des prix des produits alimentaires et les prochaines négociations prévues avec la grande distribution début 2008 s'annoncent difficiles. Tous les groupes du secteur cotés en Bourse sont concernés : Danone, qui subit la hausse du prix du lait, mais aussi du beurre, de la farine et du cacao pour sa branche biscuits qui sera prochainement cédée à Kraft Foods. C'est la même chose pour Nestlé ou pour des groupes de taille moyenne comme Brossard. La situation est encore plus tendue pour les groupes fromagers comme Fromageries Bel et Bongrain. L'Europe vit une situation inédite de pénurie de lait et de flambée des cours des produits laitiers. Or, il faut parfois plus de 8 litres de lait pour produire un fromage et, sur un segment de marché où les guerres font rage entre les fabricants, la préservation de la rentabilité semble compromise.
Enfin, l'industrie de l'alimentation animale est particulièrement touchée. Il est peu probable que le groupe Evialis parvienne à redresser ses marges dans un tel contexte. Provimi, dont les prix des matières premières représentent 75 % du chiffre d'affaires, devrait mieux tirer son épingle du jeu sans toutefois pouvoir répercuter l'intégralité de la hausse sur les prix de vente à ses clients.
L'envol du bioéthanol soulève déjà des questions
-Parmi les pistes privilégiées pour réduire les gaz à effet de serre, les biocarburants figurent en bonne place. Fabriqués à partir de matières premières végétales (betterave, colza, tournesol, canne à sucre, etc.), le bioéthanol et le biodiesel sont mélangés à l'essence et au diesel à la pompe. Certes, cet ajout se fait en Europe dans des proportions marginales aujourd'hui (de l'ordre de 1 %), mais l'objectif de la Commission européenne est de monter en puissance et d'atteindre un taux d'incorporation moyen de 5,75 % en 2010. La France, plus ambitieuse, vise de son côté 7 %.
De l'autre côté de l'Atlantique, le développement de la filière est nettement plus avancé. Le Brésil et les Etats-Unis fournissent à eux deux près des trois quarts de la production mondiale de bioéthanol (37 millions de tonnes en 2005). Près des deux tiers des voitures neuves vendues aujourd'hui au Brésil sont ainsi équipées de moteurs dits Flex Fuel (c'est-à-dire pouvant fonctionner indifféremment à l'essence ou au bioéthanol).
Une autre solution passe par le développement des carburants dits de deuxième génération fabriqués à partir des matières cellulosiques. C.S.
Le suisse Nestlé reste confiant sur ses marges
-A un mois de la présentation des résultats semestriels, le leader mondial de l'agroalimentaire reste confiant sur la réalisation de ses objectifs pour l'exercice 2007 : une croissance organique de 5 à 6 % et une amélioration de la marge opérationnelle de 30 points (de) base à périmètre constant. Ces objectifs, annoncés en début d'année, ont été jugés prudents par les marchés. Malgré le contexte de hausse des matières premières agricoles, le consensus des analystes reste favorable. Il estime le chiffre d'affaires pour l'année à venir à 106 milliards de francs suisses, en hausse de 8 %, et une marge opérationnelle autour 13,8 %. Pourtant, les matières premières constituent la majeure partie des coûts de production de Nestlé. Le groupe subit de plein fouet la hausse sans précédent du prix du lait en poudre. Pour produire les volumes importants de produits laitiers (yaourt, glaces) et aliments pour nourrissons (lait maternel), le lait constitue en volume et en valeur le plus gros poste de consommations intermédiaires de Nestlé, devant le café (Nescafé, Nespresso) et le cacao (KitKat...). A lui seul, le coût de l'approvisionnement en lait devrait s'élever à 6 milliards de francs suisses, soit 1,5 milliard de plus qu'en 2006. Et pour sécuriser son approvisionnement dans ce nouvel or blanc, Nestlé a inauguré le 5 juillet une usine de lait en Chine, venant compléter celles du Pakistan et d'Inde. Mais leur production reste insuffisante pour le moment et il y a peu d'opportunités d'acquisitions dans ce secteur.
L'autre solution pour éviter la pression des marchés est l'achat de matières premières auprès des petits producteurs locaux grâce à des contrats de long terme. Mais cette politique d'achat est de plus en plus difficile à mettre en oeuvre. D'une part, elle concerne de trop faibles volumes. D'autre part, les producteurs rechignent à s'engager sur des prix fixes sur le long terme dans un contexte de marché haussier.
D'autres solutions ont donc été envisagées pour réduire les coûts : recettes revues pour moins utiliser certains ingrédients, réduction des dimensions des emballages... Mais c'est surtout parce que le leader mondial du secteur dispose d'un véritable pricing power sur ses concurrents qu'il pourra minimiser l'impact du coût des matières premières agricoles sur ses marges. La société helvétique peut se permettre d'augmenter significativement ses prix sans dégrader les volumes de ses ventes, qui ont bondi de 6,4 % au premier trimestre. Les prix des produits laitiers devraient donc s'apprécier d'au moins 14 %, même si aucune fourchette précise n'a été communiquée.
L'internationalisation de Bonduelle devrait être rapidement payante
« Nous sommes dans un contexte d'inflation vertigineuse des prix des matières premières. Le groupe Bonduelle est bien sûr touché par ce phénomène, dont l'ampleur ne pourra être compensée par des gains de productivité », a indiqué Christophe Bonduelle au Journal des Finances. Des hausses de prix dans le secteur sont donc à prévoir, et chez Bonduelle elles ont d'ailleurs été appliquées au 1er juillet. Ces hausses de tarifs de l'ordre de 3 à 5 % en France devraient toutefois permettre de préserver les marges du numéro un européen des légumes transformés.
La flambée des prix des matières premières agricoles touche la société de façon indirecte. Le groupe travaille avec des agriculteurs qui sont aujourd'hui plus tentés de planter des céréales ou du maïs destiné à la fabrication de bioéthanol que des légumes, même si la culture de ces productions est nécessaire à la valorisation des sols.
Dans le sud-ouest de la France où se trouve la principale zone de production de maïs, dont une partie du maïs doux utilisée par Bonduelle, le groupe a dû payer ses approvisionnements de 18 à 20 % plus cher.
Pour les petits pois et les haricots verts, les surcoûts sont de 8 à 10 %. Au Canada, où il vient de prendre le contrôle à 100 % d'Aliments Carrière, le groupe est également confronté à la hausse des matières premières agricoles, la direction indique que les prix ont toutefois augmenté trois fois moins vite qu'aux Etats-Unis. Mais si la situation risque d'être compliquée en France, où les relations avec les distributeurs restent complexes, avec des hausses de prix de vente difficiles à négocier, Bonduelle ne manque pas d'atouts. Et, en premier lieu, celui de posséder des marques leaders sur ses principaux marchés. Ainsi, en mars, les dirigeants avaient indiqué que la mise en place de la loi Dutreil n'avait pas affecté la hausse des volumes des ventes de ses marques nationales Bonduelle ou Cassegrain.
Par ailleurs, le groupe commercialise de plus en plus de produits transformés et innovants, notamment dans la branche traiteur. Dernier élément en faveur du groupe, sa diversification géographique qui réduit sa dépendance à la grande distribution française et lui permettra sans doute de mieux faire passer des hausses de prix sur certains marchés.
Enfin, depuis le 1er juillet 2007, Bonduelle consolide la société Aliments Carrière, qui va accélérer son développement sur le continent nord-américain où la consommation de légumes augmente de façon sensible. L'impact sur les comptes du groupe lillois sera relutif dès la première année.
Des produits pour profiter en direct du boom des matières premières
-Devenues une véritable classe d'actifs, les matières premières attirent toujours davantage les investisseurs. Les particuliers pouvaient déjà miser sur l'or et les métaux via les Sicav et les FCP. Ils peuvent aujourd'hui accéder en toute liberté au marché des matières premières agricoles. Pour bénéficier directement de l'envolée du cours du blé ou du soja ou faire grimper son portefeuille dans les mêmes proportions que le cours du lait, il faut passer par d'autres outils tout aussi accessibles, les trackers et les certificats.
Les trackers, fonds indiciels cotés sont les outils les plus faciles à manipuler. Il permettent aussi de diversifier un portefeuille en misant non pas sur une seule, mais sur un panier de matières premières. Ceux qui souhaitent jouer l'ensemble des produits de base peuvent recourir au tracker Lyxor ETF Commodities CRB (FR0010270033), qui réplique en continu la performance de l'indice Global Reuters/Jefferies CRB. Depuis près de cinquante ans, cet indice constitue une référence largement reconnue par les marchés internationaux des matières premières. Il s'agit d'un panier de 19 contrats futures couvrant quatre grandes familles de matières premières : le pétrole et l'énergie, les métaux précieux, les métaux et les produits agricoles.
Autre possibilité, acheter l'Easy ETF Ultra-Light Energy (LU0246033426), qui réplique en continu la performance de l'indice Goldman Sachs Ultra-Lignt Energy Total Return Index, qui comprend 24 matières premières issues de 5 secteurs différents : l'agriculture (29 %) les métaux industriels (26 %) , l'énergie (26 %), le bétail (12 %) et les métaux précieux (6 %).
Pour affiner son exposition et sortir le secteur énergie qui connaît son évolution propre, ils peuvent opter pour le Lyxor ETF Commodities CRB Non-Energy (FR0010346205), qui offre aux investisseurs une exposition instantanée à l'indice Reuters Jefferies CRB Non-Energy, composé de produits agricoles alimentaires, métaux précieux, métaux de base industriels, bétail et céréales
Les investisseurs ayant de fortes convictions sur une matière première en particulier pourront se tourner vers les certificats. Ces instruments financiers cotés émis par les banques sont adossés à un grand univers de sous-jacents. Ils peuvent avoir un profil de trackers, mais aussi être assortis d'un effet de levier, et ont généralement une date d'échéance.
Ce n'est pas le cas de ceux des certificats « open-end » d'ABN-AMRO répliquant exactement la performance du sous-jacent. ABN-AMRO propose une gamme très complète permettant par exemple d'investir sur le cacao (FR0010304386), le café (FR0010304352), le sucre (FR0010304345), le coton ou même l'huile de soja (FR0010346627), et bien d'autres produits encore.
M.-C.S.
NOTRE CONSEIL
Le suisse Nestlé reste confiant sur ses marges
Profiter du repli de la valeur autour de 460 francs suisses pour mettre le titre en portefeuille (code : NES ; Zurich).
L'internationalisation de Bonduelle devrait être rapidement payante
Nous conseillons d'acheter la valeur, avec un objectif de cours de 100 euros à dix-huit mois (code : BON ; Comp. C).
Des produits pour profiter en direct du boom des matières premières
Si les matières premières sont orientées durablement à la hausse, toutes ne connaissent pas d'évolution très favorable, par exemple, récemment, le sucre et les cours sont très volatils. Ne pas investir plus de 5 % du portefeuille et penser à vérifier la date de maturité des certificats. Notre préférence va aux produits diversifiés, moins exposés, comme Lyxor ETF Commodities CRB Non-Energy (code : FR0010346205) ou Easy ETF Ultra-Light Energy (LU0246033426).