Les pépites cachées de la cote (Securibourse)

par crocroc, jeudi 24 mai 2007, 12:18 (il y a 6388 jours)

-Les Echos-

Les convictions de quatre spécialistes des valeurs françaises et européennes.

De gauche à droite : Romain Burnand, Daniel Fighiera, Anna Facchinet, Vincent Durel.
Magie du flot de liquidités qui se déverse actuellement sur les marchés ! A elles seules, ces sommes suffiraient à soutenir le cours des actions. Mais les investisseurs peuvent-ils se satisfaire de cette situation atypique > Il faudrait d'autres arguments plus solides pour les rassurer, comme la poursuite de la croissance bénéficiaire des entreprises par exemple. En fait, ces bonnes nouvelles existent sur les différents compartiments de la cote des actions françaises. Simplement, il faut savoir les explorer. Les quatre invités de notre dernier cercle s'en sont fait une spécialité. Il s'agissait d'Anna Facchinet, gérante actions européennes chez SGAM (Société Générale Asset Management) ; Daniel Fighiera, spécialiste des valeurs moyennes chez Rothschild & Cie Gestion ; Vincent Durel, gestionnaire chez Fidelity Gestion, et Romain Burnand, analyste et gérant chez Moneta Asset Management.

Vous êtes tous quatre adeptes du " stock picking " (la sélection de valeurs au cas par cas). La macroéconomie n'est donc pas votre préoccupation majeure. Un mot cependant sur la conjoncture >

Anna Facchinet. - Malgré la hausse presque linéaire, si l'on excepte la correction de février, des marchés actions à laquelle nous assistons depuis plusieurs mois, j'invite à la prudence. En effet, les marchés tendent à être gouvernés par les flux, les rumeurs d'OPA et diverses opérations, ne tenant pas compte de l'analyse des fondamentaux de l'économie. Ce comportement présente un caractère à la fois malsain et inhabituel. Ainsi, ils poursuivent leur progression dans des phases de ralentissement économique.

Cependant, je ne suis pas pour autant pessimiste : à long terme, rien ne laisse présager un krach. La croissance mondiale et la demande asiatique semblent effectivement devoir perdurer. Néanmoins, je continue à craindre les conséquences de la crise immobilière américaine. C'est pourquoi ma gestion a été guidée ces derniers temps par un principe de prudence.

Vincent Durel. - Je ne prends aucun pari macroéconomique dans ma gestion. Je considère le plus souvent que de tels paris sont binaires et suscités par des convictions faibles. Or je pratique une gestion de conviction forte.

Je pense aussi que les marchés sont davantage régis, actuellement, par une logique de flux que par une logique de fondamentaux. Le phénomène d'assèchement des marchés actions s'est amplifié depuis douze mois. Aux Etats-Unis et en Europe, il a représenté quasiment de 10 % à 11 % de la capitalisation boursière au premier trimestre 2007 en base annualisée contre 7 à 8 % en 2006. Ce phénomène s'explique par les porgrammes de rachats d'actions et les offres des fonds de " private equities " sur les sociétés cotées, dans un contexte de croissance à deux chiffres de la demande d'actifs d'épargne. Ce phénomène offre un soutien fort au marché. S'agissant des fondamentaux, tant que l'économie ne tombe pas en récession, je ne vois pas pourquoi ce soutien serait remis en cause. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'à très court terme les marchés ne peuvent pas réagir nerveusement à des chiffres macroéconomiques.

Daniel Fighiera. - Je partage la prudence de mes collègues.

Certes, la valorisation actuelle des marchés me paraît correcte, mais elle se fonde tout de même sur l'hypothèse de la poursuite de la croissance des marges des sociétés, pari relativement risqué compte tenu du niveau auquel ces marges sont parvenues. Les analystes prévoient par exemple, s'agissant des petites valeurs françaises, une croissance annuelle du bénéfice par action de l'ordre de 15 % en 2007 et 2008. Nous souscrivons difficilement à une hypothèse aussi audacieuse.

Romain Burnand. - Nous sommes tous prudents. Cela dit, je n'éprouve pas le sentiment d'une euphorie des marchés du type de celles que nous avons pu connaître plusieurs fois au cours des trois dernières décennies. Si nous les comparons aux niveaux qui ont pu être atteints dans le passé ou aux niveaux observés sur les autres marchés, les valorisations demeurent raisonnables. Notre classe d'actifs ne paraît pas fondamentalement la plus surévaluée. Considérez par exemple la situation des marchés immobiliers ou obligataires : quoique soumises à une certaine volatilité, les actions ne semblent pas excessivement surévaluées et ne constituent pas la classe d'actifs la plus risquée.

Est-ce que vous pouvez nous dire un mot sur vos méthodes de gestion > A moins que cela ne vous amène à dévoiler de grands secrets !

Romain Burnand. - Nous sommes embarrassés non parce qu'il existerait des secrets, mais parce qu'il n'en existe pas !

Anna Facchinet. - Nous établissons un " screening " en fonction de différents ratios financiers. Bien entendu, il ne s'agit pas de mener une gestion quantitative. Cette méthode vise simplement à nous alerter quant à une possible sous-valorisation de tel ou tel titre. Nous discutons avec notre bureau d'analystes, qui suivent les valeurs. Nous investissons en fonction de nos convictions, de nos propres analyses et de contacts réguliers avec des " brokers ".

Vincent Durel. - Le fonds ne prend aucun pari sectoriel ou macroéconomique. Il a pour vocation de battre l'indice, quelles que soient les conditions de marchés, en investissant dans toutes les tailles de capitalisation. Tout le processus repose uniquement sur la sélection de valeurs spécifiques.

En ce qui me concerne, je m'intéresse plus particulièrement à trois types de valeurs : les valeurs de type " value " telle Icade ; les valeurs dites " garp " (NDLR : valeurs de croissance à un prix raisonnable), profitant de tendances lourdes et structurelles de marché, telle Vilmorin ; les valeurs en phase de retournement ou " recovery " telles que, depuis peu, Eurotunnel.

Daniel Fighiera. - Notre approche vise à construire un portefeuille le plus équilibré possible, en termes de secteurs d'activité (même si certains segments de la cote tels que les holdings ou l'immobilier nous paraissent surévalués) ou de style d'investissement. Nous nous refusons à prendre des paris macroéconomiques et nous nous méfions également des approches fondées sur une neutralité par rapport aux indices, car ceux-ci peuvent avoir des biais de construction significatifs. Nous nous concentrons sur les sociétés positionnées sur des métiers de croissance, à forte visibilité, et dont la valorisation nous semble attractive.

Romain Burnand. - Notre société n'emploie que des analystes, dont certains sont aussi les gérants. La fonction d'analyste n'est donc pas séparée de celle de gérant. Actuellement, il est peut-être moins aisé que par le passé de trouver des perles. Ce n'est donc qu'en réétudiant sans cesse nos dossiers, en les approfondissant, que nous pouvons découvrir de nouvelles idées d'investissement. Il ne s'agit donc plus de rencontrer des dizaines de nouvelles sociétés avec l'idée qu'une sur cinq se révélera intéressante et une sur dix très intéressante, mais de ne pas hésiter à reprendre nos dossiers et d'y réfléchir pour découvrir un élément que n'aurait pas encore saisi le marché. Celui-ci étant aujourd'hui très compétitif, nous devons parvenir à un degré de connaissance des valeurs supérieur à celui dont nous pouvions nous contenter en 2003. Notre univers de valeurs s'en trouve d'autant plus restreint. Nous suivons ainsi de 100 à 120 valeurs. Nous ne raisonnons pas en termes sectoriels. En effet, les sociétés n'appartiennent pas nécessairement à tel secteur clairement délimité. Nous évaluons le risque plutôt par rapport à des facteurs macroéconomiques : certaines sociétés sont sensibles, à la baisse ou à la hausse, au prix du pétrole, d'autres au cours du dollar, d'autres enfin aux taux ou à la croissance des pays émergents. Nous suivons donc régulièrement ces différents risques, mais sans procéder à une allocation sectorielle. Si nous avons investi dans une valeur trop exposée au risque d'une hausse du pétrole, nous compensons cette exposition par un investissement dans une valeur qui réagirait en sens inverse.

Vous aimez tous les quatre les petites valeurs. Quels arguments donneriez-vous aux lecteurs des " Echos " pour justifier votre affection pour ce segment de la cote, qui, parfois, présente un caractère spéculatif >

Daniel Fighiera. - Pour moi, la beauté des petites valeurs vient du fait qu'elles constituent un univers toujours riche d'événements. Le flux des informations est tel, qu'il s'agisse de transactions sectorielles affectant indirectement les valeurs cotées ou d'opérations de croissance externe dans lesquelles elles sont partie prenante, que nous sommes susceptibles à tout instant de devoir réétudier telle ou telle valeur que nous pensions connaître parfaitement. Chaque jour, je peux être amené à travailler sur un dossier auquel je n'avais pas songé la veille. Ainsi disposons-nous d'un vivier d'idées que nous ne saurions quantifier.

Vincent Durel. - Je suis tout à fait d'accord avec Daniel Fighiera.

Une opération de " private equity ", une acquisition, une opération de croissanc externe, une modiification réglementaire peuvent à tout moment changer un cas d'investissement. Nous devons donc reconsidérer nos investissements jour après jour et rester attentifs aux changements.

Par exemple, dans le secteur de la distribution, la cession par Casino de ses actifs en Pologne, par François Pinault des magasins du printemps à des valorisations supérieures aux attentes du marché, et l'arrivée récente de nouveaux actionnaires dans le capital de Carrefour ont bouleversé l'analyse du secteur en terme de valorisation.

Romain Burnand. - " Petite capitalisation ", " moyenne capitalisation " ne signifient pas " petite société " et " moyenne société " : des valeurs de petite ou moyenne capitalisation peuvent être de très grandes sociétés. Par exemple, Teleperformance, qui compte 45.000 salariés et réalise 20 % de son chiffre d'affaires en France, constitue une très importante société, dominant son secteur avec une entreprise américaine.

Anna Facchinet. - J'inviterai quand même à la prudence vis-à-vis des rumeurs. Lorsqu'elles sont infondées, elles donnent lieu à un envol spectaculaire des cours puis à leur effondrement. Ces phénomènes sont dangereux pour les marchés.


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