Total (Securibourse)

par chris, vendredi 26 janvier 2007, 10:34 (il y a 6536 jours)

Un article intéressant qui résume bien les enjeux d'avenir pour le groupe.

En terme de valorisation, le PER de 10 attribué aux compagnies pétrolières me semble sévère.

Au delà des affaires et des fluctuations du baril, Total va devenir à l'avenir un groupe multi-énergétique prédacteur ou proie à défaut.

L'ère Margerie commence

2007 sera l'année du changement pour la première entreprise de France et de la zone euro. Thierry Desmarest, le PDG, prend du recul. Dès février, Christophe de Margerie sera aux commandes. Portrait d'un original que rien ne destinait à plonger dans le grand jeu pétrolier.

Etienne Gernelle

Quelques secondes de plus dans l'ascenseur. Et, peut-être, un certain vertige. Le matin du 14 février, un homme moustachu d'environ 1,80 mètre s'engouffrera dans la tour Total de la Défense. Mais, cette fois-ci, il ne s'arrêtera pas au 11e étage. Il ira jusqu'au 44e. Après avoir refermé derrière lui la porte de son nouveau bureau, il y pensera sûrement. Du haut de sa tour, Christophe de Margerie dominera le capitalisme français. Et même européen, puisque Total est la première capitalisation boursière de la zone euro. Il faudra donc s'habituer à ce visage rond surmonté de petites lunettes et barré de bacchantes qui semblent venir d'un autre âge. A 55 ans, « Big Moustache », son surnom, sera non seulement le titulaire du plus gros « job » de l'économie française, mais aussi au coeur du réacteur politique, tant l'énergie est devenue un enjeu dominant. Pourtant, si sa silhouette est déjà familière à tous les émirs du Moyen-Orient, le grand public, lui, le connaît encore peu. Visite dans l'univers du nouvel émir français du pétrole.

« Cognac, cigare ». C'est ainsi qu'un ministre du gouvernement Villepin, assis au creux d'un fauteuil de Falcon, dépeint Christophe de Margerie. Bien vu, pour le côté aristo tendance british, et pour les penchants rabelaisiens du personnage, mais les termes sont imprécis. L'intéressé serait plutôt porté sur le whisky, dont il chasse les flacons les plus rares. Margerie rit, mange, boit, pique des colères, plaisante, provoque. « Quand il se fâche, sa moustache s'agite », s'amuse Randa Takieddine, journaliste (libanaise) du quotidien saoudien Al-Hayat. Tout le contraire, au premier abord, de son prédécesseur Thierry Desmarest, plus avare de mots, qui paraît être une froide machine. Avec son diplôme de l'ESCP, Margerie détonne, dans une entreprise marquée par une forte culture d'ingénieurs. Au point d'incommoder quelques cadres maison. « Il est très anticonformiste », résume son ami Gérard Mestrallet, PDG de Suez. Pas totalement loufoque, non plus. Perpétuellement en retard à ses rendez-vous, Margerie sait aussi tenir son emploi du temps quand c'est nécessaire. Son ancien patron, Serge Tchuruk, est quasi le seul à n'avoir aucun souvenir de ses retards. Pour qui a déjà rencontré l'intraitable Tchuruk, c'est en effet prudent.

Atypique, Margerie. Depuis le début, d'ailleurs. Christophe Jacquin de Margerie est né dans une famille pas comme les autres. Côté paternel, des ambassadeurs et des dirigeants d'entreprise. Son cousin Gilles de Margerie est directeur financier du Crédit agricole. Du côté maternel, il s'agit tout simplement de l'empire Taittinger. Sa mère, Colette, est la fille de Pierre Taittinger, le fondateur du groupe. Vendu en 2005 au fonds Starwood, celui-ci regroupait les champagnes, mais aussi des hôtels de luxe (Crillon, Lutetia, Martinez, etc.), des chaînes d'hôtels économiques (Campanile, Première Classe, Kyriad) et des produits de luxe (Baccarat, Annick Goutal)...

Patron et héritier. Parfois, les deux se croisent. La scène se passe dans les années 90, lors d'un dîner au Crillon (où Margerie s'est d'ailleurs marié). Serge Tchuruk, alors patron de Total, et Abdullah ben Hamid Al-Attiyah, ministre de l'Energie du Qatar, sont présents. Tchuruk à Al-Attiyah : « Savez-vous que la famille de Christophe est propriétaire de cet hôtel > » Surpris, Al-Attiyah lui demande, lors d'une rencontre ultérieure : « Mais au fond, pourquoi travaillez-vous > » Etonnante situation que de devoir expliquer pourquoi on travaille.

A moins que ce soit précisément le but : prendre son indépendance. « J'ai fait des études pour avoir un passeport, explique Margerie. J'avais envie de travailler très vite. Mes parents m'ont proposé d'aller faire des études aux Etats-Unis. J'ai dit non. J'avais 22 ans. » Son choix se porte alors sur Total. « Parce que c'était le plus proche de chez moi, dans le 16e arrondissement », aime à plaisanter l'intéressé. En fait, il avait déjà effectué un stage chez Total, et de ses trois propositions (IBM et Alcatel étaient les deux autres) celle-ci l'attirait plus. Quant à travailler dans le groupe Taittinger, il dit n'y avoir jamais songé. « C'est plus difficile de travailler avec des gens qu'on connaît. Ce n'est pas facile de dire merde à son oncle ! » Puis Margerie se reprend : « Notez que j'évite aussi de dire merde à Thierry Desmarest... »

Le pétrole, donc, plutôt que le champagne. « L'environnement pétrolier m'a fait frémir les moustaches », raconte-t-il. Margerie commence à la direction financière. Un poste d'apprentissage idéal, qui lui permet, au travers d'études de rentabilité des projets, de humer le parfum de l'or noir. Lors de l'un de ces voyages, en Argentine, il rencontre un certain... Thierry Desmarest. « Il avait 23 ans, et déjà son sens de l'humour », confie ce dernier. L'ascension de Margerie, entré chez Total en 1974, peut alors paraître assez longue. Plus, en tout cas, que celle, fulgurante, de Desmarest. A l'époque de Tchuruk, il a même pensé à s'en aller. Et c'est Tchuruk qui l'a retenu, pour le sortir des finances et le placer à la division trading et Moyen-Orient. Le véritable lancement de sa carrière.

Margerie devient « l'oriental ». « Il a appris la patience, souligne le banquier d'affaires Jean-Marc Forneri. Au Moyen-Orient, on peut être convoqué à 20 heures, et parfois à minuit on n'est pas reçu. Lui sait gérer cela. Et il excelle dans les relations personnelles. » Margerie acquiert dans ces années la réputation d'être un as du « one to one ». Il précise quelques-unes de ses recettes : « Il faut savoir écouter quelqu'un pendant un quart d'heure sans dire un mot. Et avoir aussi une discussion indépendante du business. En privé, comme en public, et quel que soit l'interlocuteur. Il y a d'ailleurs quelque chose qui manque dans l'enseignement des écoles d'ingénieurs : le comportement. De ce point de vue-là, c'est insuffisant. Le bon sens relationnel, ça doit pouvoir s'apprendre. »

De fait, la méthode Margerie a bien fonctionné. « Il connaît tout le monde dans la région, affirme Randa Takieddine. Y compris d'ailleurs au Liban, qui n'est pourtant pas un pays pétrolier. » Selon elle, il comprend mieux que les autres les préoccupations de ses interlocuteurs. « Il est très tiers-mondiste », assure-t-elle... Tiers-mondiste au Moyen-Orient, serviteur de la France, par tradition familiale, et des actionnaires de Total, Big Moustache se démultiplie. Appelé par son prénom dans toutes les capitales arabes, y compris à Bagdad, où il s'est rendu à de très nombreuses reprises, il ne délaisse pas pour autant les Etats-Unis. « Il maîtrise parfaitement les nuances entre Wolfowitz, Rice, Bolton et Cheney », note Jean-Pierre Jouyet, le patron de l'inspection des finances, qui est aussi son cousin par alliance. Les rencontres, les voyages, donc, mais aussi le bureau. « Je passe quand même la majorité de mon temps dans des dossiers techniques, validations de projets et gestion de carrières », souligne Margerie.

En 1995, lorsque Thierry Desmarest devient PDG de Total, c'est Margerie qui lui succède à la tête de la division exploration-production, celle des « seigneurs de l'or noir ». Il marque alors de nouveaux points. Notamment parce que Total a su au cours de ces années décrocher suffisamment de permis pour renouveler et augmenter ses réserves. Or c'est bien là le nerf de la guerre entre les « majors ». En 2003, lorsque Thierry Desmarest lui remet la légion d'honneur, il glisse au passage que le nouveau décoré est susceptible d'être appelé un jour à de plus hautes fonctions. Depuis, Big Moustache sait qu'il est sur la bonne trajectoire. Les deux hommes, si différents, ont visiblement tissé des liens profonds. « Titi et gros minet », comme les décrit une source interne, ne se quitteront d'ailleurs pas : Thierry Desmarest restera après le 14 février à la tête du conseil d'administration de Total.

Entre-temps, Christophe Jacquin de Margerie n'a pas oublié sa famille. Ne serait-ce que parce qu'il est administrateur du groupe Taittinger. Or, dès les années 2000, le groupe familial se déchire. Pas moins de dix-huit membres de la famille y travaillent. Fort de sa réussite professionnelle, le Margerie de Total fait figure de recours. A plusieurs reprises - la dernière en septembre 2004 -, il lui est proposé d'en prendre la direction. Chaque fois, il refuse. Il participera néanmoins aux interminables réunions de conciliation, arrivant en retard, souvent, mais parlant avec une certaine autorité. D'autant que parmi les actionnaires de Taittinger figure le milliardaire belge Albert Frère, également premier actionnaire de Total. Margerie, que Frère apprécie, joue un peu les intermédiaires. En 2005, Taittinger est finalement vendu. « Il était très attaché au concept de groupe familial, mais il a essayé de trouver une solution qui convienne à une majorité de la famille », explique sa cousine Brigitte Taittinger, aujourd'hui PDG des parfums Annick Goutal.

Retour au pétrole. Avec quelques millions de plus, fruits de la cession de Taittinger. Mais le sujet de l'argent agace un peu Margerie, qui a gagné environ 1 million d'euros l'an dernier. Desmarest, lui, a empoché 3,1 millions d'euros. Copieux, mais pas complètement exorbitant, par rapport à la taille de l'entreprise. Le document de référence de Total précise qu'il « n'existe pas de régime de retraite, ni indemnité de départ, spécifique au président ». Pas de parachute en or, donc. Les stock-options > Margerie avoue ne pas en avoir encore exercé, faute d'en « avoir besoin ». De toute façon, à part les whiskys, le vin et les bons restaurants, Christophe Margerie n'a pas la dépense spectaculaire. De l'avis de ceux qui y ont séjourné, sa maison de campagne de Saint-Pair-sur-Mer, dans la Manche, n'a rien à voir avec les villas des pétroliers russes sur la Côte d'Azur. « Il n'est pas dans la culture familiale de dépenser l'argent de façon ostentatoire », souligne Brigitte Taittinger.

Côté dîners en ville, le nouveau patron de Total n'est d'ailleurs pas un des plus assidus du club des PDG du CAC 40. Parmi les proches, tout de même, Albert Frère, avec lequel il partage le goût de la bonne chère, Gérard Mestrallet, le patron de Suez, Jean-Philippe Thierry, PDG des AGF, ou encore Daniel Valot, patron de Technip (ingénierie pétrolière). Côté politiques, les relations sont assez professionnelles. Ses interlocuteurs sont Bercy, le Quai d'Orsay, Matignon et, en dernier ressort, le « château ». Mais ce lecteur de Voltaire, qui cultive à leur égard une certaine ironie, n'est pas un grand amateur des cercles politiques.

Pour singulier qu'il soit, « l'oriental » Margerie devra cependant composer avec les sinuosités de la politique française. Par exemple affronter, comme Desmarest, les velléités récurrentes des gouvernements d'imposer une windfall profit tax (taxe sur les profits exceptionnels), afin de mettre la main sur des bénéfices souvent jugés indécents. « Si en France, où on ne gagne que très peu d'argent, on nous accuse de réaliser des profits indus, alors les pays producteurs, où l'on réalise l'essentiel de nos bénéfices, se chargeront de nous les prendre », explique Margerie, sur un ton vif. Soit. Mais plus difficile sera d'esquiver les coups consécutifs aux multiples « casseroles » que traîne le pétrolier français : la marée noire de l'« Erika », l'explosion d'AZF à Toulouse et l'affaire du travail forcé en Birmanie. De quoi éprouver les nerfs d'un patron. Personnellement, il devra en outre soutenir les conséquences de l'affaire Pétrole contre nourriture, qui lui a valu récemment 48 heures de garde à vue et une mise en examen (voir encadré). Une autre affaire, de commission versée à des proches du régime iranien, pourrait même être plus ennuyeuse, si la SEC, le gendarme américain de la Bourse, décidait de hausser le ton. Le conseil d'administration de Total a renouvelé il y a peu sa confiance à Margerie, mais le danger existe. D'autant qu'un tel poste peut susciter des convoitises. Une méchante rumeur affirmait dernièrement que Thierry Breton lui-même s'y serait bien vu...

Miné, le poste de PDG de Total exige aussi un sacré flair. Les turbulences que chacun pressent dans le monde de l'énergie réclament des capitaines inspirés. Thierry Desmarest, qui se retire volontairement plus tôt pour permettre à Margerie d'« imprimer sa marque », selon ses termes, a métamorphosé le groupe en dix ans, absorbant notamment Petrofina et Elf. La révolution Margerie, si elle a lieu, est pour l'instant une page blanche. Chez Total, on reconnaît sans ambages que la production ne pourra connaître une croissance éternelle. Qu'à partir de 2020, ou 2025, elle atteindra sinon un pic, du moins un plateau. Pas question pour autant de déserter l'or noir, précise Margerie. Mais pas question non plus d'ignorer le champ des alternatives. Margerie y voit trois pistes : « le nucléaire, le charbon et la biomasse. » Impossible d'en savoir beaucoup plus. La tour de la Défense veille, jusqu'au jour où... Les prodigieux bénéfices de Total (12 milliards d'euros), que l'entreprise consacre en bonne partie à de confortables dividendes et de massifs rachats d'actions, pourraient trouver dans ces trois pistes un emploi. Dans les milieux financiers, on suggère que Total pourrait mettre facilement la main sur Suez en cas d'échec de la fusion avec Gaz de France. Les centrales nucléaires belges du groupe feraient une bonne porte d'entrée en matière d'atome. En outre, Albert Frère, premier actionnaire des deux entreprises, ne verrait peut-être pas l'opération d'un mauvais oeil. Dans le charbon, une mine, par exemple en Afrique du sud, pourrait constituer un premier pas. Mais les hydrocarbures peuvent aussi offrir des occasions. Gaz de France, privatisé, mais sans fiancé, pourrait devenir une cible facile pour Total. Plus généralement, il se pourrait que la terrible vague de consolidation pétrolière de la fin des années 90 reprenne. Total, murmurent certains, pourrait tenter de monter à l'assaut de l'anglo-néerlandais Shell, plus gros, certes, mais empêtré dans des divisions internes. Mais attention. De prédateur Total pourrait aussi devenir une proie, tout 4e pétrolier mondial qu'il est. BP ou bien même Gazprom pourraient un jour, pourquoi pas > tenter l'OPA. Le monde du pétrole n'est pas tendre. Le 14 février, Margerie s'installera en haut de sa tour en homme averti

Total

par FLANEUR @, vendredi 26 janvier 2007, 13:15 (il y a 6536 jours) @ chris

SUPERBE...merci de cette page mise en (scene) page...le scribe a ,aussi,du talent!

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