point de vue (Securibourse)
Lactualité de la crise: dynamique dimplosion, par François Leclerc
DYNAMIQUE DIMPLOSION
Léquation de la crise européenne va rester insoluble, et on peut anticiper que celle de la crise mondiale le sera tout autant.
Tôt ou tard mais nous nen sommes pas encore là il faudra ladmettre, afin de chercher à poser le problème autrement pour parvenir à le résoudre. Car, pour la seconde fois après lépisode de la chute libre initiée par la faillite de Lehman Brothers, les gouvernements et les autorités financières tentent de régler un problème dinsolvabilité par le déversement de liquidités, renflouant les dettes en créant de nouvelles dettes.
Tout se passe comme si ces liquidités étaient vidées dans des seaux percés des facilités de caisse jamais vues délivrées aux banques et désormais également aux États avec comme seul destin de ne jamais parvenir à la remplir. Car cette solution est aussi inadéquate ici que lorsquelle fut utilisée précédemment, condamnant à terme à léchec, cette fois-ci, le plan de sauvetage (intitulé plan de stabilité) de la zone euro.
Le remède prescrit nest quun pis-aller, tout comme lest lersatz de régulation financière qui va nous être vendu. La nouveauté est quil apparaît illusoire aux yeux des marchés eux-mêmes, permettant de tirer sans plus tarder cette leçon sans appel de la crise européenne : il va falloir trouver autre chose.
Loin dêtre singulière, cette dernière ne fait quouvrir la voie à celle qui mûrit aux États-unis, retardée là-bas par lénormité des moyens mis en oeuvre pour léviter, qui ne peuvent cependant remédier à un délitement financier, économique et social dont le spectacle soffre à qui veut le regarder.
En Europe, la grande nouvelle a été la publication du rapport trimestriel de la BCE, dont il a dabord été retenu le montant prévisionnel des dépréciations que les banques de la zone euro allaient devoir opérer dici à la fin 2011 : 195 milliards deuros. Une somme supérieure à la précédente estimation, même si le total des dépréciations depuis 2007 est légèrement inférieur au précédent, confirmation sil en était besoin que les banques se dépêchent avec lenteur. Cela représente encore 90 milliards deuros de dépréciations en 2009 et 105 milliards en 2011, si les estimations de la BCE se confirment.
Cette dernière affecte de ne pas salarmer de leffort qui va devoir être réalisé par le système bancaire, énumérant trois conséquences de la situation européenne à ses yeux plus alarmantes, les deux dernières nayant jamais été ainsi évoquées par ses soins.
En premier lieu, que les banques pourraient se révéler intoxiquées par un remède dont elles ne peuvent plus se passer. Il sagit de largent facile que la BCE leur procure, en se substituant à un marché interbancaire toujours défaillant, dont elle voudrait bien commencer à fermer le robinet, sans y parvenir. En second, que des « boucles rétroactives » entre finance publique et privée sont entrées en action, porteuses de « dangereuses contagions ». En troisième, enfin, que la concurrence est en train de saccroître sur le marché obligataire, les États se servant au détriment des entreprises (dont les banques, ce que la BCE ne souligne pas explicitement), aboutissant en raison de leur forte demande à une hausse générale des taux, non sans conséquences négatives pour ces dernières.
Les statistiques du chômage divulguées mardi par Eurostat auraient pu élargir ce panorama, bien que la BCE, contrairement à la Fed, nait pas pour mission de veiller à la préservation de lemploi. Selon cet organisme européen, le chômage continuerait à progresser, la moyenne dépassant le cap des 10% pour la zone euro. Notons tout de même que ce taux recouvre de fortes disparités, entre lAllemagne et lItalie par exemple.
Conséquences probables de ces mauvaises nouvelles leuro continuait de chuter par rapport au dollar en début de semaine, atteignant même un moment son point le plus bas depuis 4 ans ; les Bourses, tirées vers le bas par les valeurs financières, étaient à nouveau touchées. La BCE distribuait aux banques, à loccasion de son allocation hebdomadaire, 117,7 milliards deuros de liquidités.
Tout était sujet dincertitude sur les marchés, les analystes étant de plus en plus critiques vis-à-vis dune politique européenne désormais mise en cause car ralentissant la croissance de léconomie. La crise de la dette publique était brutalement passée au second plan des préoccupations dans les analyses, les traders étant tout aussi versatiles que les marchés quils suivent sans recul tout en prétendant les anticiper. Les banques en prenaient pour leur grade, à leur tour.
Lune des remarques que la crise européenne appelle est que si dette privée et dette publique semblent être régies par le principe des vases communicants, la circulation entre les deux est à sens unique, ou tout du moins parcimonieusement comptée. Lorsque les États cherchent à financer leur dette, dont il est établi quune partie importante résulte de la crise financière, les marchés font alors des manières. Ils y mettent des conditions et prétendent en faire payer le prix deux fois : dabord en imposant à ceux qui sont en état de faiblesse des taux plus élevés pour leurs emprunts obligataires ; ensuite en faisant néanmoins dépendre leur accès de la promesse dune réduction drastique des déficits publics.
Le maintien du Welfare State, cet État Providence, dont lEurope était, quoique relativement, le meilleur représentant, est en cause. Ce calcul, qui vise à soulager la pression sur le marché obligataire pour que les marchés y accèdent ensuite dans de meilleures conditions expliquant quils soient pressés du résultat à en oublier tout réalisme nest pas sans embûches, en raison de la crise sociale et politique quil pourrait déclencher sil est mené à son terme.
La deuxième remarque nest pas plus à lavantage de ces mêmes marchés. Si lon additionne les besoins en financement et refinancement des États, des banques et des grandes entreprises (non financières), on aboutit à des montants faramineux. Dautant que les banques ne vont pas uniquement devoir augmenter leurs fonds propres afin de faire face aux dépréciations à venir, mais quelles vont devoir également répondre aux contraintes réglementaires de Bâle III, quand leurs modalités et calendriers seront finalement fixés. Et que les États risquent de crever les projections actuelles du plafonnement de leur dette.
Si lon se tourne du côté des banques centrales, prêteuses en dernier ressort, leurs bilans sont alourdis par les actifs toxiques quelles ont pris en pension et dont elles ne savent plus comment se débarrasser. À force dengagements, le moment risque de venir où elles devront être recapitalisées par les États, créant une de ces « boucles rétroactives » officiellement identifiées par la BCE, une de plus.
Circonstance aggravante aux États-unis, dénormes paquets de dette hypothécaire sont garantis par Fannie Mae et Freddie Mac, les deux agences gouvernementales, dont la valeur future dépend dun redressement du marché immobilier, très hypothétique sans vouloir faire de mauvais jeu de mots. Soit le Trésor public continuera à les renflouer à fonds perdus, au détriment du budget de lÉtat, soit les garanties seront levées et les organismes prêteurs privés en subiront les conséquences. Un montage intermédiaire est recherché, et aux dernières nouvelles, un appel à idées pourrait être lancé
Ce rapide survol effectué, une question peut être valablement posée : comment dégonfler les deux gigantesques bulles de dette que sont les dettes privées et publiques, qui communiquent entre elles dune manière telle que le dégonflement de la première fait accroître la seconde de façon plus que proportionnelle, en raison de son mode de financement même, et de son coût grandissant >
La dette privée grossit à nouveau, fruit dune fréquentation assidue des salles dun casino qui na jamais fermé ses portes, et nest pas prêt dailleurs dêtre enjoint de le faire. Enfin, en raison des conditions sur le marché obligataire, il est à prévoir que les banques vont obtenir du Comité de Bâle des aménagements favorables des règles prudentielles auxquelles elles vont être assujetties, dans la lignée des accommodements obtenus auprès du Congrès américain. Avec pour conséquence, un accroissement du risque quun nouveau dérapage incontrôlé se produise, en raison de la minceur et de la fragilité du bouclier financier dont elles devront se doter. Les États se trouveraient cette fois-ci forts démunis pour organiser un nouveau sauvetage.
Résorber ces deux bulles, afin quelle redeviennent de taille acceptable, est-il à portée et par quels moyens > Ceux qui sont actuellement déployés, et dont nous observons les effets, permettront-ils dy parvenir > Rien nest moins sûr, si lon considère la dynamique dune crise déjà prématurément déclarée sur son déclin et qui est en train de rebondir. Là où elle nétait pas attendue, bien entendu.
Que la stratégie suivie soit annonciatrice dun échec prévisible ne va pas lempêcher dêtre porteuse dimportants dégâts. La rémunération du travail est à nouveau présentée comme la variable privilégiée dajustement, tant afin de réduire les budgets des États que de favoriser les exportations en améliorant la productivité et la flexibilité.
Mais les conditions ont changé, il nest plus concevable dappliquer la même recette, qui pendant tout un temps a rempli ses fonctions avant dexploser en plein vol. Il nest plus envisageable de remettre en marche avec le même rendement quavant la machine à fabriquer de la dette, afin de partiellement compenser la répartition inégale de la richesse, qui est par conséquent encore appelée à se développer. Une problématique qui fait se rapprocher, dans leur structure si ce nest dans leur histoire, les sociétés des pays développés et émergents, suivant des mouvements inverses mais confluents.
Cette histoire est-elle toute tracée, devant désormais saccomplir sans sursauts > Le capitalisme financier va-t-il trouver en lui les ressources de son aggiornamento > Au contraire, rien ne permet à ce jour de le penser. Il poursuit son implosion, du fait de ses propres contradictions, ne parvenant pas à maîtriser la chaîne des événements qui se succèdent de manière imprévisible, sans être en mesure de retrouver une assise pérenne.
Entre eux, les atomistes parlent dexcursion pour qualifier ces réactions qui parfois les dépassent. La ballade nest pas sympathique.