Qui a raison, Bernanke ou Trichet ? (Securibourse)
Ariane van Caloen
Mis en ligne le 14/03/2008
Le président de la Fed a adopté une politique de relâchement monétaire, contrairement à la BCE. Ils n'ont pas d'autres choix, dit Paul De Grauwe (KUL).
Depuis que la crise financière a éclaté aux Etats-Unis en juin dernier, la Réserve fédérale a réduit ses taux directeurs de 225 points de base, les ramenant de 5,25 à 3 pc. Elle vient aussi d'annoncer d'autres mesures. Elle compte ainsi prêter jusqu'à 200 milliards de dollars de bons du Trésor aux grandes banques et sociétés d'investissement afin d'augmenter le volume des liquidités sur les marchés du financement notamment. Les titres seront offerts par le biais d'une adjudication hebdomadaire à partir du 27 mars.
La Banque centrale européenne (BCE), elle, n'a pas encore jugé bon de baisser ses taux.
Coup d'épée dans l'eau
On assiste donc à deux politiques différentes qui suscitent certaines critiques des deux côtés de l'Atlantique. Alors que l'euro a largement dépassé la barre de 1,55 dollar, il y a ceux qui pensent que la BCE devrait lâcher du lest. Il y en a d'autres qui pensent que la Fed accumule les coups d'épée dans l'eau en réduisant les taux. Ce qui ne fait qu'écorner encore un peu plus sa crédibilité.
Paul De Grauwe, professeur d'économie à la KUL, ne donne tort ni à Bernanke ni à Trichet. "Ben Bernanke est pratiquement condamné à faire ce qu'il fait, car il est confronté à un risque d'implosion du système financier américain", souligne-t-il. Bien sûr, poursuit-il, "en faisant cela, il court le risque de maintenir la bulle financière qui est à la base de ce qui arrive aux Etats-Unis".
D'après lui, la situation est très différente en Europe qui, contrairement aux Etats-Unis, n'est pas au bord de la récession et où le secteur financier semble moins fragilisé, à quelques exceptions près (notamment en Allemagne et en Suisse).
Pour lui, Jean-Claude Trichet, dont la première préoccupation est de ramener l'inflation autour de 2 pc, contre plus de 3 pc actuellement, a donc raison de ne pas baisser les taux. Même si une telle décision a pour effet de freiner la croissance économique via essentiellement la baisse des exportations. D'après des simulations réalisées il y a quelques années par le Bureau du Plan, une baisse de 10 pc du dollar face à l'euro ampute de 0,5 pc la croissance du produit intérieur brut, mais aussi l'inflation de 0,5 pc.
Eric De Keuleneer, professeur à la Solvay Business School, met, lui, en avant les risques d'une politique monétaire trop laxiste. "La baisse des taux aux Etats-Unis au début des années 2000 a surtout permis à des spéculateurs de s'en tirer pour un tour", souligne-t-il.
Greenspan, le vrai fautif
A la lumière de la crise financière actuelle, il est donc de plus en plus évident, pour de nombreux économistes, que si des mauvaises décisions ont été prises, c'est en premier lieu par Alan Greenspan, le prédécesseur de Bernanke. "Alan Greenspan a commis une double erreur", note Paul De Grauwe. Tout d'abord, il a maintenu des taux d'intérêt très bas (jusqu'à 1 pc) pendant très longtemps. Et il a refusé toute régulation et supervision du monde bancaire. Et cela parce qu'il croyait dur comme fer à l'autorégulation. Pour illustrer ses convictions, il avait écrit dans son livre autobiographique cette phrase à propos des banques : "Why do we wish to inhibit the pollinating bees of Wall Street >" (pourquoi inhiber les abeilles "pollenisantes" de Wall Street >).
Ce manque de régulation a clairement poussé les banques à accorder en masse des prêts hypothécaires à des ménages américains surendettés ("subprime"). Ces prêts ont ensuite été "titrisés" (transformés en titres négociables) et revendus à travers le monde. C'est ainsi qu'est née la crise qui touche aujourd'hui de plein fouet la planète finance.